France. Tourisme solidaire au Maghreb : état des lieux après le printemps arabe
L’association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES) organisait hier jeudi après-midi au Petit Bain (Paris 13e) sa deuxième édition de « Destinations Solidaires ». Plusieurs intervenants ont débattu sur l’impact du printemps arabe sur le tourisme au Maghreb.
« On a vécu un tsunami qui a touché l’Europe, l’Amérique latine et même la Chine », rappelle Abdessalam Kleiche en évoquant le printemps arabe. Pour le président du forum citoyenneté monde arabe (FCMA) comme pour tous les intervenants présents, il y aura un avant et un après révolution. Politiquement bien sûr mais aussi pour le tourisme.
« Les habitants ont exprimé la volonté d’avoir un autre modèle économique et un tourisme alternatif », assure Abdessalam. Sur le terrain depuis un moment, associations et ONG sont parties prenantes de ce projet. Petit tour d’horizon de l’évolution du tourisme solidaire dans les 3 grands pays du Maghreb.
Une Algérie qui privilégie le tourisme intérieur
Jusqu’aux années 70, l’Algérie a connu de belles années de tourisme. Les gens y venaient et traversaient le pays du nord au sud sans aucun problème. Les années 90 ont plongé le pays dans le chaos et mis un coup d’arrêt terrible à la manne touristique. Depuis 2000, le pays a commencé à se relancer à l’échelle nationale. « Les Algériens avaient envie d’avoir des bouffées d’oxygène, de nombreuses agences de voyages se sont créées », explique Malika Tazaïrt, gérante de Voyag’acteur.
Le printemps arabe n’a pas eu d’impact concret sur le tourisme algérien.« Nous n’avons pas connu de révolution, mais il y a toujours des mouvements sporadiques rapidement étouffés », souligne Malika.
Le tourisme solidaire a commencé à se développer. Des associations proposent certains circuits mais au compte goutte. Ce tourisme équitable n’a pas encore trouvé sa place sur le long terme malgré les initiatives. « J’ai développé dans le sud de l’Algérie la valorisation de la biodiversité, de l’artisanat, ça commence à attirer un peu plus de monde », conclut Malika Tazaïrt.
Une Tunisie qui doit changer ses habitudes
« Le pays a essentiellement vécu du tourisme de masse jusqu’à la révolution. Les gens venaient sur les côtes, ils ne voulaient pas rencontrer les Tunisiens, juste profiter du soleil », affirme Mohammed, web-master tunisien.
Le tourisme en Tunisie a connu une forte baisse depuis le printemps arabe. Sous la dictature, les touristes étrangers avaient un sentiment de sécurité. Depuis la chute du régime, beaucoup n’osent plus venir. Cet abandon a ouvert la porte aux Tunisiens qui sont de plus en plus nombreux à voyager dans leur pays.
La révolution a laissé la place à un tourisme alternatif. Exemple avec le petit village berbère de Chenini dans le sud, pas loin de Tataouine. Durant des années, ce village servait de lieu de passage pour les groupes touristiques. Ils s’y arrêtaient pour manger, prendre quelques photos et repartaient aussitôt.
Depuis le départ de Ben Ali, Habib, qui souhaite développer le tourisme équitable, a acheté une grotte. Il a pris son temps pour la retaper, tout en bois de palmier et la restaurer comme à l’époque. Cette grotte est devenue une chambre d’hôtes qui accueille des touristes. Une partie de l’argent est reversée au développement local.
Habib possède également un petit musée à la sortie de Tataouine. Les guides touristiques sont venus le voir pour lui demander d’enlever les prix d’entrée, afin de pouvoir se faire une marge. Le patron a refusé, les guides ont décidé de ne plus s’y arrêter. « Pour faire évoluer le tourisme, il faut changer les mentalités », assure Mohammed.
Le Maroc touché mais pas coulé
Le Maroc a été la première destination de l’ATES en 1993. Il y a toujours eu une tradition de tourisme solidaire. « L’impact du printemps arabe a été négatif », explique sans détour Laurent Besson, directeur de vision du monde. Le tourisme équitable a connu une chute de 40%, pareil pour le tourisme de masse. « Les voyageurs ont besoin de sécurité, les touristes solidaires ne sont pas plus courageux que les autres », déclare-t-il.
L’attentat de Marrakech et la conjoncture économique n’ont pas aidé à relever la tête. Les voyages scolaires, habituellement une bonne part de son activité, ont chuté. Cette année, il n’y en a eu qu’un. « Pourtant, il n’y a aucun risque à venir au Maroc », répète-t-il.
Abderrazak Elhajri, directeur adjoint de Migrations et Développement, garde espoir. Avec son ONG, il va dans les villages reculés des montagnes marocaines pour « créer une passerelle entre les deux rives ». Les touristes viennent partager et cette rencontre « démystifie les relations avec l’Occident », affirme Abderrazak. Grâce aux produits du terroir et l’argent reversé par l’organisation, les habitants réussissent enfin à avoir accès à l’eau potable, à l’électricité.
« Les touristes venaient pour le soleil et la mer, mais ils ne connaissaient pas les Marocains. Grâce au tourisme solidaire, chacun réfléchit dans l’ouverture autour d’une dynamique locale », se félicite Abderrazak.
Jonathan Ardines