France – Les travailleurs sans papiers se font entendre
Hier jeudi, le ministère de la régularisation de tous les travailleurs sans papiers a organisé un rassemblement devant la préfecture de Créteil (Val-de-Marne). Dans une ambiance bon enfant, les manifestants ont demandé une régularisation massive et partagé avec nous, les difficultés de leur quotidien.
« Régularisation de tous les sans-papiers », chantent en cœur les quelques 150 personnes réunis devant la préfecture de Créteil. Banderole et djembés donnent le rythme sous le regard de policiers attentifs.
Après le 27 juillet et le 22 septembre, c’est la troisième fois que le collectif organise un rassemblement devant la préfecture. Christian, à la tête du mouvement, ne cache plus son agacement : « Nous avons déjà été reçus par le préfet. Il nous a promis monts et merveilles, finalement, il n’y a eu que 6 travailleurs régularisés ».
Il y a trois mois, le collectif des sans-papiers (CSP92) a déposé 87 dossiers de régularisations à la préfecture. Un mois plus tard, 81 travailleurs ont reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire) sans aucune raison valable, précise Mounir, algérien et en France depuis 5 ans : « On ne comprend pas. On travaille, on paye des impôts, mais sans explication, ils nous font parvenir une OQTF », avant de rajouter : « Ce papier équivaut à une peine de prison d’un an. Si on vous arrête pendant cette année, on nous renvoie au pays. On a l’impression d’être traités comme des criminels ».
Jeu de dupes entre l’employeur et la préfecture
L’ambiance s’intensifie, attirant le regard des badauds. Algériens, Maliens, Tunisiens, Sénégalais continuent de donner de la voix. Une délégation va être reçue par le sous-préfet.
Amadou, agent d’escale à l’aéroport a du mal à cacher son pessimisme : « À chaque fois qu’il nous reçoit, il nous promet que tout va changer. Beaucoup de collègues ont envoyé des dossiers complets pour être régularisés. Ils ont même reçu des accusés de réception mais une fois à la préfecture, ils nous disent qu’ils ne les ont jamais reçus ».
Un double discours qui agace ces salariés souvent coincés entre l’employeur et l’administration. Au centre, le fameux CERFA, passeport indispensable pour une demande de régularisation. Ce papier, qui doit être signé et remplit par l’employeur, devrait permettre à chaque travailleur sans papiers de pouvoir postuler à la nationalisation.
« Beaucoup d’employeurs préfèrent licencier dès qu’on leur demande le papier. Et quand certains acceptent, c’est la préfecture qui fait traîner les choses sans jamais donner de réponse. Moi, j’ai déposé mon dossier en 2010, j’attends toujours », raconte Karim, travailleur algérien en France depuis 6 ans.
Un business sur le dos des sans-papiers
Youssef, délégué du CSP92 (collectif des sans-papiers) est venu soutenir le mouvement. Pour lui, le problème va au delà de la surenchère politique : « Il y a de grandes sommes d’argent sur le dos des sans-papiers. Ce sont eux qui font tous les boulots les plus durs, ils participent au développement économique du pays ».
À ses côtés, Smaïn acquiesce et nous confie une anecdote qui va dans ce sens : « Il y a 4 ans j’ai été arrêté, ils m’ont emmené au poste et m’ont dit qu’il fallait que je fasse appel à un avocat si je voulais rester. L’avocat est arrivé, il m’a dit : « Il faut que tu payes 3 000 euros. » Un ami m’a prêté l’argent et je suis sorti avec un OQTF d’un an. Si je voulais m’en débarrasser, il fallait que je paye encore 1 000 euros ! ».
Un business qui rapporte gros si l’on se fie à ces témoignages. Youssef, régularisé il y a peu de temps, est excédé par ces méthodes : « Ce sont des gens qui travaillent sérieusement, qui payent leurs impôts, mais le gouvernement les oppresse. Dos au mûr et traqué chaque jour, tu ne peux pas penser librement et tu es obligé de tout accepter pour t’en sortir ».
Comme eux, ils sont 450 000 travailleurs sans-papiers déclarés dans le pays à se battre pour avoir une reconnaissance. La délégation ressort avec de nouvelles promesses de la préfecture. Pour du concret, il faudra encore attendre.
Jonathan Ardines