Fatwas : Les hotlines de la piété
Des sites pour promulguer des fatwas à la demande, on en voit à la pelle sur le net. Des numéros verts ou à somme modique permettent, dans certains pays, de trouver réponse à tout questionnement d’ordre religieux. La Fatwa en ligne est incontestablement dans l’air du temps, mais qui sont ces valeureux guides spirituels qui donnent de leur temps pour nous éclairer ?
Au Maroc, la fatwa est une affaire du ministère des Habous et des affaires islamiques. Aucun numéro surtaxé ou de site web n’existe. Surveillance rigoureuse, la fatwa reste strictement du domaine du Conseil supérieur des oulémas et des conseils régionaux.
Notre mufti de la commune d’Anfa est resté vague sur les statistiques. Les questions qui lui sont posées se rapportent souvent au crédit et ses intérêts, mais également à la vie conjugale et familiale, aux relations humaines, au commerce, à l’héritage ou encore aux choses plus banales du jeûne et des ablutions. Beaucoup de questions sur la sexualité dans le lot. ‘‘On reçoit parfois des questions qui peuvent sembler bizarres ou absurdes, mais notre devoir est d’y répondre le plus clairement possible », finit-il par dire.
Bien que le Conseil supérieur des oulémas barre la route à tous les prédicateurs et muftis de circonstance, des fatwas absurdes peuvent échapper au contrôle. Tout le monde arabe a eu vent de la fatwa autorisant le mariage de la petite fille de 9 ans du cheikh Maghraoui, ou encore celle qui autorise la nécrophilie et le recours aux poupées gonflables ou même l’hymenoplastie de Abdelbari Zemzami. Toujours est-il que le Maroc est encore à l’abri des courants extrémistes qui distillent sournoisement leurs fatwas en ligne… pour le moment.
Mieux encore que d’affronter le cheikh à la mosquée ou de subir la gêne de poser votre question lors d’un talk-show télévisé, la fatwa par téléphone ou via mailing vous garantit un anonymat total, mais vous permet surtout de verser dans le détail et de mettant votre libre-arbitre en veilleuse.
Des business lucratifs
En Arabie Saoudite, les appels téléphoniques coûtent le prix d’une communication locale ou légèrement surtaxée. Bien qu’il n’y ait aucune loi qui interdise ce « commerce », les Cheikhs des mosquées et théologiens universitaires maintiennent que seules sont admises, les fatwas émises par des organismes reconnus tels que le centre de recherche de la Ligue islamique mondiale à La Mecque. Les entreprises des hotlines islamiques n’en chôment pas pour autant, en encaissant la moitié du coût de la communication et cédant l’autre moitié à un « érudit ». Toutefois, de nombreuses violations ont été notées. Aussi, en 2010, le roi Abdallah a publié un décret autorisant seuls les hauts oulémas à promulguer des fatwas, ou avis religieux.
En Egypte, le phénomène est plus ancien. En l’an 2000, existaient déjà les premières plateformes dédiées à la fatwa. Al-Hatef Al-Islami reçoit à ce jour plus de deux million d’appels, émanant d’Egypte mais aussi de tous les pays arabes. Ce sont souvent des jeunes, dont 60 % de femmes, qui ont recours à ce service qui ne dépend pas d’Al-Azhar ou de Dar Al-Iftaa (siège du mufti de la République). Il a été créé par Chérif Abdel-Majid, fils d’un ex-ministre des Affaires étrangères qui a flairé le bon business et a voulu profiter des numéros surtaxés, en proposant quelque chose de plus attrayant que la météo ou l’horoscope ! Avec quand même certains « Azharis » dans leur équipe, Al-Hatef Al-Islami s’assure d’avoir la légitimité nécessaire pour apaiser les doutes des croyants. Gamal al-Banna, qui n’est autre que le frère du fondateur des Frères musulmans et grand-oncle de Tariq Ramadan, s’indigne de cette industrie et déplore ce recours systématique à des ‘‘solutions toutes faites’’, dans lequel il voit un renoncement au libre arbitre.
C’est également en Egypte qu’existe le plus grand site web pour fatwa, en arabe et en anglais. Islam-online se présente comme la vitrine d’un islam modéré. Pourtant, ce site a été fondé par le très controversé Youssef El Qaradaoui, ancien membre des Frères musulmans qui avait été déchu de sa nationalité égyptienne du temps de Moubarak. Avec plus de 250 employés, le site ne cesse de louer la générosité des donateurs privés, en particulier de la fondation d’El Karadaoui.
Qui sont les muftis ?
Un petit tour dans le net pour se rendre à l’évidence. Non seulement rien ne prouve la légitimité des prêcheurs et érudits du net, mais les fatwas promulguées empestent l’intégrisme. « Parce que notre communauté accuse une inquiétante augmentation de personnes se proclamant, à tort, faire partie des gens de science et prétendant pouvoir émettre des avis juridiques, nous avons estimé qu’il était nécessaire d’apporter aux musulmans francophones les réponses à ces questions religieuses quotidiennes émises par les savants de la sunna », peut-on lire sur fatwaislam.com. Le « nous » répond à toute une panoplie de questions très diversifiées et sort des fatwas interdisant la fête des mères, la sortie d’une femme seule de sa maison ou encore la soumission aux dirigeants mécréants non-salafistes.
D’accès libre, gratuit et difficile à surveiller, ces sites poussent comme des champignons sur la toile. Plus ils sont rigides, plus ils ont l’air sérieux.
Fedwa Misk