Etats-Unis – Tunisie : les similarités idéologiques de deux présidentielles

 Etats-Unis – Tunisie : les similarités idéologiques de deux présidentielles

Anxieux puis euphoriques ou déprimés, les Tunisiens ont été nombreux à être captivés par l’élection présidentielle de 2016 outre-Atlantique, un « intérêt excessif » objet d’autodérision pour certains. Et si ces élections nous captivaient autant parce que cela nous rappelle inconsciemment notre propre passe d’armes entre une présidence issue de la révolution, et une autre issue de l’establishment ? « Sounds familiar ? »


Evacuons d’emblée un malentendu, ou plutôt un stéréotype, à propos de Donald Trump. Comme sa famille politique l’indique, Trump est un candidat conservateur. Il ne fut perçu comme figure « anti-système » qu’à la faveur de la dérive libérale des démocrates US dans leur versant incarné par Hillary Clinton.


Ce qui ne fait en revanche aucun doute, c’est que les deux mandats de Barack Obama ont touché au plus profond de l’identité américaine, en tentant de réformer un très individualiste système de santé US via l’« Obamacare », ou encore en essayant un audacieux encadrement du droit constitutionnel du port d’armes. Ce qui valut aux mandats du premier président noir-américain le surnom de mini-révolution, mais aussi une montée en puissance du ressentiment des classes ouvrières blanches, attachées au fondamentaux US et assimilant la crise économique à une décadence elle-même associée aux « droits bourgeois » des minorités, aux élites de Wall Street, etc.   


Pendant de longs mois et années, des médias US tels que Fox News ont mené des campagnes de dénigrement d’Obama, le diabolisant, le faisant passer pour "islamophile", mettant en doute sa citoyenneté américaine, son certificat de naissance, son patriotisme…


L’élection de Moncef Marzouki, dans la foulée de la révolution de 2011, était aussi un mini-séisme, en ce qu’elle remettait en question pour la première fois des éléments constitutifs de l’identité profonde de la Tunisie. Intellectuel défenseur des droits humains, il a brutalement rompu avec l’héritage moderniste mais despotique des deux ères Bourguiba et Ben Ali. Ce qui lui valut le ressentiment grandissant de l’establishment tunisois de la capitale et du Sahel, et un matraquage médiatique quotidien moquant son apparence vestimentaire modeste, sa « folie », sa supposée loyauté à des puissances étrangères telles que la Turquie et le Qatar…


La tentation du retour aux fondamentaux destouriens bourguibistes rassure tout autant que le slogan "Make America great again".


 


Trump et Essebsi, figures du « sauvetage »


La campagne présidentielle tunisienne ne fut pas moins houleuse que la souvent grotesque campagne présidentielle US que nous venons de vivre. Comme le candidat Béji Caïd Essebsi qui avait à l’époque lâché un misogyne « Ce n’est qu’une femme », en parlant d’une députée, le décomplexé candidat Trump est connu pour son style provocateur souvent sexiste, sa célèbre et vulgaire phrase « I grab them by the pussy » l’ayant poursuivi tout au long de la campagne. Des rapports très tendus avec les médias caractérisent également les deux candidats « conservateurs » américain et tunisien.    


Ce qui rapproche davantage encore les deux hommes, c’est une subtile appartenance à ce qu’il est convenu d’appeler la droite populiste. L’un est un milliardaire décrit comme l’ennemi de Wall Street pour sa doctrine de la préférence nationale et son opposition à l’industrie mondialisée, l’autre a ponctué sa campagne de spectacles musicaux du terroir folklorique tunisien, et de visites à divers mausolées où les offrandes côtoient les bougies.


Pilier de leurs mandats respectifs, le thème de l’éradication du terrorisme islamiste caractérise l’entrée dans le tout-sécuritaire.  


Au-delà de l’universalité des dynamiques politiques dans le monde moderne, l’intérêt de ce constat est double. Il réside aussi dans la prise de conscience qu’en démocratie, tout n’est pas régi par les profils des leaders : à des états de grâce parenthèses révolutionnaires, succèdent en effet généralement des mouvements profondément réactionnaires et nostalgiques. En Tunisie, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe où l’extrême droite se frotte les mains, nous assistons à des séquences historiques particulièrement polarisées.  


 


Seif Soudani