Edito Tunisie : Oui et alors?

Le parti Ennahdha, à référentiel islamique, arrive donc en tête des élections de la constituante. C’était attendu, et sa victoire est sans appel.

Il y a beaucoup à dire au sujet de cette victoire relative :

 

   – l’utilisation de la religion dans les campagnes électorales et donc le mélange entre religion et politique ;

– les nombreux dépassements commis par des candidats de ce parti et qui vont donner lieu à des recours.

Mais l’essentiel est ailleurs. Même si l’on pense que l’on ne doit pas mélanger politique et religion, Ennahdha est un parti ancien, bien ancré et organisé, et au sein de l’électorat tunisien, la sensibilité islamique est réelle. Quant aux dépassements signalés, ont-ils réellement changé le verdict des urnes ?

Les Tunisiens doivent se projeter vers l’avenir.

Et l’avenir, c’est d’atteindre l’objectif premier de la révolution : l’instauration d’une démocratie. Quand à ce parti, il faut le juger sur ses actes et non sur les intentions qu’on lui prête. De plus, le programme d’Ennahdha est civil et défend, sur le papier déjà, les principes de liberté et d’égalité. Ces élections sont aussi un rejet ferme, clair et j’espère définitif des extrémismes importés du Golfe.

La situation en Tunisie appelle différentes remarques et analyses.

La première remarque concerne le clivage, réel, au sein de la société tunisienne entre d’un côté, un camp moderniste voire laïque et de l’autre, un camp conservateur à référentiel religieux.

Ce clivage traverse toutes les sociétés arabes.

Mais le plus important n’est pas la victoire de tel ou tel camp. La Tunisie a fait sa révolution pour la démocratie. C’est cela qui est essentiel.

La seconde remarque est une question : est-il possible de construire une démocratie avec un parti islamiste aux commandes ? C’est cette interrogation, cette crainte, qui suscite la méfiance dans le camp dit moderniste.

Alors, qu’est-ce que la démocratie ?

C’est l’Etat de droit(*). Ce sont les libertés individuelles, l’égalité citoyenne, le respect des minorités. C’est surtout une société régie par le droit, un droit vivant et autonome, qui s’adapte aux évolutions.

Pas un droit figé adapté à un contexte vieux de plusieurs siècles. Et cela est valable pour n’importe quelle religion, pas seulement l’islam.

Jusqu’au mois d’août dernier, j’étais méfiant à l’égard des positions d’Ennahdha. En septembre, quand le programme du parti a été publié, nous l’avons accueilli avec un préjugé très favorable. Car il faut juger les actes, pas les intentions que l’on peut prêter aux uns ou aux autres.

Le programme d’Ennahdha est le plus avancé, le plus progressiste de tous les partis islamistes du monde arabe. Il reste conservateur, mais Rached Ghannouchi semble avoir conçu un bon compromis pour adapter le référentiel islamique au contexte moderne.

Attendons pour voir. Mais restons vigilants sur quelques points :

– la démocratie n’est ni la liberté d’expression, ni le scrutin libre ; c’est d’abord et avant tout un droit positif autonome et une constitution qui respecte les libertés individuelles.

– l’enseignement, la culture, la liberté d’expression : veillons à ce qu’ils ne soient pas instrumentalisés à des fins idéologiques.

Enfin, ce scrutin est une leçon admirable à tous les pays arabes. Au-delà du fait d’organiser des élections libres, il y a beaucoup d’enseignements quant à la faillite des élites arabes, leur incapacité à s’adresser aux opinions publiques, leur enfermement dans des bulles. Les inégalités sociales et régionales interpellent, le racisme social aussi. Ennahdha a fait la meilleure campagne et de loin, la plus intelligente, la plus subtile, la plus élevée. Des pays comme la Tunisie se gouvernent au Centre, et la religion(**), la langue sont des composantes essentielles de l’identité positive des Tunisiens.

Naceureddine Elafrite

(*) Lire à cet égard l’excellent essai que vient de publier le Pr Ali Mezghani, « L’Etat inachevé » au Seuil. Il fait un tour complet de la relation droit et démocratie dans les pays musulmans.


(**) Il est maintenant clair que le film de Nadia El Fani ainsi que la diffusion de Persepolis pour Nessma ont rendu de bien piètres services au camp laïque.