CRISE FINANCIERE « Il faut convoquer un G20 et prendre des mesures » Interview de Camille Sari

 

Comment est née cette  nouvelle crise? où va le monde? y a-t-il de vrais scénarios de sortie de crise? Nous avons interrogé Camille Sari est conseiller économique, consultant international, spécialiste des monnaies et de la finance internationale.

 

LCDA : Une nouvelle crise financière secoue l’Europe. Comment en est-on arrivé là ?
 

C.S.: La crise actuelle est la résultante de la crise des subprimes de 2008, aux USA, et de la titrisation de ces prêts à des gens modestes, ce qui a fait flamber la planète entière.  Les banques se sont engagées sur des « titres toxiques » liés aux subprimes. Les Etats ont dû prendre le relais pour éviter la faillite bancaire. Les Etats se sont fortement endettés après 2008. A chaque échéance électorale, il y a des augmentations de dette. De plus, les USA ont l’avantage d’avoir une monnaie nationale qui joue le rôle de monnaie internationale grâce aux accords de Bretton Woods de 1944 et la possibilité de faire tourner la planche à billets pour financer leur déficit.
L’autre cause : les dépenses militaires liées aux guerres en Afghanistan et en Irak qui ont fortement pénalisé les budgets des  Etats. Ces deux guerres ont coûté au minimum de 10 000 milliards de dollars, presque autant que la dette américaine.

Pourquoi la question de la dette américaine est-elle déterminante dans la gestion de la crise ?
 

La plupart de l’épargne mondiale est absorbée par la dette américaine. La Chine, qui a des excédents en devises,  a placé  1 100 milliards de dollars en bons du Trésor américain, les Japonais 900 à 1000 milliards, les pays arabes autour de 300 milliards. L’Algérie, à elle seule, en détient 70 milliards. L’économie mondiale s’est maintenue grâce à la bonne santé des Chinois, des Indiens, des Brésiliens à absorber ces deux chocs venus des USA.
Ce surendettement des USA atteint un niveau où la dette globale est équivalente au PIB, obligeant le congrès à donner son accord. Elle est estimée à 14 300 milliards de dollars, presque autant que le PIB américain. ça s’est produit 67 fois depuis 1962 et cela s’est produit  10 fois depuis 2001.
 

 

Donc, la crise actuelle est aussi liée à la politique intérieure américaine ?

Quand le président est du même bord que le congrès, il n’y a aucun souci. Or aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Il y a eu un jeu politicien très dangereux qui explique 80% de ce qu’il se passe. Les Républicains ont fait des calculs, ils voulaient que ce soit Obama qui assume la totalité des déficits alors qu’il n’a fait qu’hériter d’une situation explosive.  Les sénateurs ont décidé de l’autoriser à augmenter le plafond de la dette mais pour une période très courte de manière à ce que lors de la prochaine période électorale, le débat soit remis sur la table. La situation est purement politique. L’économie mondiale a encore des ressources pour repartir. On est à des taux de croissance de 1 à 2 % dans les pays industrialisés et autour des 8% en Chine.

 Ainsi, la dégradation de AAA à AA+ de la note des USA est justifiée ?
 

 Oui, même s’il y a eu une polémique. Il arrive que ces agences de notations se trompent comme en 2008. Evaluer un Etat est plus compliqué qu’évaluer une entreprise. Comment calculer la valeur du patrimoine par exemple, celle de la Tour Eiffel ou du musée du Louvre ? Elles ne tiennent pas compte de beaucoup de chose dans leur calcul. L’Etat américain dit que Standard and Poors s’est trompé de 2.000 milliards. Mais l’agence n’a pas déclassé le pays sur la base des chiffres mais sur l’instabilité politique du pays. Et sur le fond, ils ont raison.


Quelles sont les répercussions de cette crise sur l’économie réelle ?

 

Les répercussions sont réelles. Lors de la crise de 2008, les banques ont arrêté de se prêter entre elles. Du coup, les banques n’octroyaient plus de crédit aux entreprises ou les particuliers.
Si ça continue comme cela, elles peuvent réduire le volume de crédits et peuvent augmenter les taux d’intérêt si elles jugent que le client n’est pas assez solide. Il y a un ralentissement de l’activité car les entreprises qui auront moins de crédits, vont moins investir donc moins produire d’où le chômage. C’est la bourse qui finance l’économie. S’il y a des perturbations ça se reflète sur la valeur des entreprises.
Autre problème, les spéculations sur les obligations d’Etat créent des perturbations. Par exemple, les obligations allemandes sont à 2% alors que l’Italie est à 6% et la Grèce à 15%.
L’Etat devra réduire les dépenses publiques et les dépenses sociales. L’état est un gros investisseur s’il n’investit plus, l’économie s’essouffle car les entreprises perdent des contrats.
Les deux économies sont étroitement liées. Le souci est qu’on donne plus d’importante à la bourse qu’à l’économie réelle.


Quel serait le scénario idéal de sortie de crise ?

Il y a ceux qui ont peur et donc qui vendent et achètent sans réfléchir mais il y a surtout les spéculateurs sans scrupule qui jouent sur la désinformation. Ils lancent des rumeurs sur le déclassement de la France, sur la faillite de la Société générale… Ils massacrent une action puis son cours chutera, un démenti sera publié et l’action remonte. Il ne reste plus qu’à encaisser les différences de variations des cours.
J’appelle à de nouvelles régulations mais les Américains n’en veulent pas. Qui finance les campagnes électorales des partis politiques américains ? Les financiers. Même Sarkozy qui avait fait de belles déclarations lors du G20, n’a jamais pu tenir ses promesses. Il faut un accord international pour réguler les marchés. Par exemple, il faudrait interdire la vente à découvert. La France, l’Italie et l’Espagne se sont mis d’accord pour suspendre les ventes à découvert sur 11 valeurs seulement pendant 15 jours.  Mais 3 pays ne suffisent pas. Les capitaux n’ont pas de frontières. La plupart des capitaux investis en Europe sont Chinois ou Arabes. Si en Europe, les marchés sont moins rentables, ils iront ailleurs. Il faut convoquer un G20 pour des mesures soient prises et qu’il y ait une déclaration commune.

Nadia Lamarkbi