Billet. Tunisie. Le conservatisme d’Essebsi, unique alternative à l’ultra conservatisme ?

 Billet. Tunisie. Le conservatisme d’Essebsi, unique alternative à l’ultra conservatisme ?


Il est le grand bénéficiaire des récentes émeutes et des cafouillages du gouvernement. Béji Caïd Essebsi ne pouvait rêver meilleur timing pour le lancement officiel de son initiative politique, sorte de parti transversal qui ambitionne de devenir la principale alternative à l’hégémonie d’Ennahdha. Ce que nous avons observé dans les coulisses de la réunion de samedi rend le bien-fondé de cette démarche plus que discutable, tout comme le contenu du discours qui y fut prononcé.




 


Le décor grandiose planté la veille peut induire en erreur. Le lancement de « l’Appel de la Tunisie » n’est ni une grande messe populaire, ni un remake du facile succès d’audience dans le fief destourien de Monastir en mars dernier. Seuls les cartons d’invitation permettaient l’accès à un Palais des Congrès certes plein mais au public homogène.


Des invités dont beaucoup essayent visiblement de se faire discrets, rechignent à s’afficher pour certains, refusant de faire des déclarations pour d’autres.


Une fois à l’intérieur, les mégaphones du comité d’accueil présent aux abords de la salle sont encore audibles et expliquent en partie l’embarras de quelques invités. Ils dénoncent une tentative de passage en force d’un ex régime déguisé : « Vous ne passerez pas, tout comme le pouvoir militaire en Egypte ne passera pas. Le peuple aura le dernier mot ! », avertissent des trouble-fêtes.


La comparaison avec l’Egypte n’est pas infondée. Une troublante concomitance existe entre les derniers évènements de violences salafistes en Tunisie et la décision soudaine de la junte militaire égyptienne de s’attribuer le pouvoir législatif. La réhabilitation du candidat aux présidentielles ex Premier ministre de Moubarak coïncide par ailleurs avec des appels à l’armée tunisienne de prendre le pouvoir. Des appels émanant de figures en exil de l’ex régime Ben Ali, à l’image de Mezri Haddad toujours à l’affût.


 


La figure du sauveur


Quand Béji Caïd Essebsi fait une entrée digne d’une rock star, difficile de ne pas voir un certain culte de la personnalité autour de l’octogénaire qui provoque une quasi hystérie collective. On veut le toucher, on crie son nom pendant de longues minutes, et des larmes sont mêmes versées par Wafa Makhlouf Sayadi, membre du comité constitutif du Mouvement l’Appel de la Tunisie, fille d’un riche entrepreneur de la région de Monastir.


Dans son discours d’environ une heure, l’ex Premier ministre axe une première partie sur une cinglante mais imparable critique de l’incompétence de l’actuel gouvernement face à l’insurrection salafiste qui cible les symboles de l’Etat.


Il raille sur le mode de la satire les ministres nahdhaouis des Affaires étrangères et de l’Agriculture, applaudi par une foule hilare, pour au final inviter Ennahdha à engager des pourparlers en vue d’un partage du pouvoir.


 


Rééquilibrer les forces en présence, à quel prix ?


Si « l’opportunisme de l’ex régime » est dénoncé dès le lendemain par Mustapha Ben Jaâfar, le rôle de l’ex RCD dans l’utilisation de casseurs pour semer le chaos reste opaque. Ce qui est en revanche évident, c’est que le mouvement de Béji Caïd Essebsi entend récupérer les considérables ressources humaines destouriennes parmi celles qui n’ont pas encore rejoint Ennahdha.


Selon Mohsen Marzouk, ce sont 130 mille personnes « dont des personnalités nationales » qui ont d’ores et déjà exprimé leur volonté d’adhérer à l’appel qu’il contribue à lancer. Dans sa déclaration constitutive, le nouveau parti affirme qu’il « lutte contre toute forme d’exclusion appelant à un large consensus et au renforcement de la démocratie et de la participation citoyenne. »


Quel crédit peut-on donner à cette déclaration d’intention ? Essebsi précise de façon de plus en plus décomplexée que l’exclusion dont il s’agit et qu’il refuse, c’est celle des ex du RCD. Nous avons pu constater la présence samedi de nombreux ex gouverneurs et de hauts responsables de l’ère Ben Ali. Il faut donc comprendre que le mouvement qui est lancé est un mouvement qui fait peu de cas de la légitimité révolutionnaire.


Plus problématique encore, le discours de Béji Caïd Essebsi cultive une vision très particulière de la démocratie. L’homme a réaffirmé samedi qu’il ne croit pas en l’opposition en tant que mode d’action en politique. Au nom d’un commode « construisons tous ensemble pour le bien de la patrie », c’est en réalité un discours englobant avec des airs de déjà vu qui est développé.


Comment ne pas voir en effet une forme de différentialisme, un relativisme culturel à l’envers, dans cette rhétorique « old school », bien connue dans le monde arabe, qui réduit les clivages gauche / droite à une conception purement occidentale de la démocratie et du pluralisme ?


Plutôt que de les réformer, il s’agit donc de reconduire les ex forces RCDistes telles quelles. Et pour cause : Béji Caïd Essebsi n’a pas de désaccords structurels sur le consensualisme qui avait fait qu’Hamadi Jebali le propose un temps comme président de la République au lendemain des élections de la Constituante.


 


Un faux modernisme


Depuis, quoi qu’on pense d’Ennahdha qui a encore à prouver que c’est un parti ayant définitivement adhéré aux idéaux démocratiques autres que le vote et les urnes, c’est en tout cas un parti qui s’inscrit de plus en plus dans une configuration classique d’une droite ultra conservatrice qui met au défi une gauche de pouvoir la battre, voire d’exister.


Un jeu dans lequel n’entre pas le mouvement d’Essebsi pour des motifs qui sont aussi d’ordre idéologique. L’Appel de la Tunisie correspond à une droite nationaliste, conservatrice, où la religion, même si elle est plus modérée, est omniprésente.


Contrairement à Bourguiba dont il se revendique, Essebsi cite abondamment les versets coraniques, aime à répéter que « le peuple tunisien est musulman », et a plusieurs fois condamné samedi « l’atteinte au sacré » en parlant de l’affaire du Palais Abdellia.


En grandissant, on apprend généralement à rire du plan dialectique enseigné dans le secondaire, l’assez mièvre « thèse – antithèse – synthèse ». En n’ayant rien d’autre à proposer en termes de projet sociétal qu’un conservatisme viscéral sur l’article 1 de l’ex Constitution, le « sebsisme » se condamne à la dénonciation de l’atteinte au sacré d’un côté, et à déplorer la violence qu’elle suscite de l’autre. Une position philosophiquement intenable et politiquement vaine.


Seif Soudani


Reportage photo.