Billet. Tunisie. La loi au-dessus de tout.

Ce qui s’est passé à La Manouba est loin d’être un détail ou une action isolée, contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre. Ce n’est pas un simple fait divers et il est riche en enseignements.

 

Les faits. Le lundi 28 novembre, jour d’examens à la Fac des Lettres de la Manouba. Une étudiante en niqab, est empêchée de passer l’examen car le règlement de la Faculté l’interdit. Une cinquantaine de salafistes, dont une grande partie étrangers à l’établissement, font irruption, empêchent le déroulement des examens et entament un sit-in. Leurs revendications : 1. Que l’étudiante en question soit autorisée à passer l’examen. 2. Que la direction de la fac ouvre une salle de prière.

Jusqu’à ce jour, vendredi 2 décembre, les examens n’avaient pas eu lieu, les cours n’ont pas été délivrés et selon le doyen, lui-même a été séquestré pendant plusieurs heures, tandis que des étudiants et des agents administratifs ont subi des violences physiques.

Notre journaliste qui s’est rendu sur place à plusieurs reprises, a assisté à des scènes où l’un des salafistes vêtu d’un treillis militaire (!!), agressait des étudiants à coups de brodequins.

Jusqu’à jeudi soir, le recteur et le doyen ont évité de faire appel à la force publique. Plusieurs partis, courants et forces politiques ont dépêché sur place des médiateurs pour essayer de trouver une solution. Le conseil scientifique de la Faculté, réuni à plusieurs reprises, a refusé de céder.

La réaction d’Ennahdha. C’est cet aspect qui mérite l’analyse.

Par la voix de son dirigeant Samir Dilou, futur porte-parole du gouvernement, Ennahdha a résumé sa position en trois points :

-la loi est au-dessus de tout

-le refus de toute violence

-priorité au dialogue : M. Dilou explique ici qu’il s’agit d’un événement isolé et qu’il faut ouvrir le dialogue d’autant plus que les personnes impliquées sont convaincues d’avoir une légitimité religieuse.

Déjà, le premier et le troisième point se contredisent. On ouvre le dialogue quand une ville est dévastée comme c’est le cas en ce moment à Kasserine ou à Gafsa. On ouvre le dialogue avec un preneur d’otages qui risque de tuer ses otages. Mais pas avec une cinquantaine d’énergumènes qui violent ouvertement la loi au nom de leur propre interprétation de la religion.

La position de M. Dilou est dangereuse :

-elle signifie que le futur pouvoir exécutif sera faible vis-à-vis de tous les débordements qui seront commis au nom de la religion.

Elle est grave :

-elle signifie que la limite à la suprématie de la loi (point 1 de sa réaction) est l’existence d’un fondement religieux à une action qui précisément viole la loi.

Nous sommes là au cœur des réserves et des inquiétudes que nous avons déjà exprimées ici, au sujet de l’accès d’Ennahdha au pouvoir et de sa capacité à instaurer un Etat de droit : la concurrence entre le religieux et le droit ; certains courants ayant forcément la tentation, d’ériger la religion (telle qu’ils l’interprètent) en source de normativité de la société.

C’est le point nodal dont dépend l’avenir du pays. De sa gestion dépendra la capacité d’Ennahdha à instaurer ou pas un Etat de droit en Tunisie.

Naceureddine Elafrite