Billet. Tunisie : Des signaux contradictoires

Les récents événements en Tunisie, entre autres la tension née du limogeage du patron des brigades d’intervention de la police BOP, suscitent des commentaires différents selon l’angle où l’on se place.

Seif Soudani, dans un article publié ici ce matin en billet (« L’esprit de plébiscite, fléau chronique, maladie de la démocratie »), donne sa lecture des événements. Naceureddine Elafrite voit les choses sous un angle complémentaire, dans l’article ci-après.

 

Le gouvernement a raison et mérite d’être soutenu, pour certaines de ses décisions qui montrent une volonté de parachever la révolution. C’est ainsi que j’interprète en effet quelques événements qui se sont déroulés ces derniers jours :

il est naturel et dans l’ordre des choses qu’il cherche à changer quelques têtes au sein du ministère de l’Intérieur. Ce ministère qui est la mère de tous les ministères dans les pays autoritaires, ne peut pas être un Etat dans l’Etat. Il est normal et naturel, légitime et légal, que le ministre de l’Intérieur nomme ou démet les responsables de son département, sinon il ne pourrait être tenu pour responsable des missions de ce ministère.

Le limogeage du patron des brigades d’intervention BOP a suscité pas mal de remous au sein du ministère. C’était prévisible certes.

Le gouvernement, ou peut-être le ministre de l’Intérieur, a cru bon devoir faire appeler au peuple nahdhaoui, et au peuple en général, pour une manif de soutien avenue Habib Bourguiba, devant les locaux du ministère. C’est de bonne guerre en l’état actuel des choses. Et ce n’est pas incompatible avec la démocratie.

il est également naturel que des têtes tombent dans les médias publics. On voit la même chose dans les plus grandes démocraties.

Le choix des remplaçants n’a pas été bien étudié. Des erreurs de casting ont été commises. Et devant la levée de boucliers et les maladresses du gouvernement, une sorte de marche arrière a été annoncée, allant jusqu’à promettre ou laisser croire, que les rédacteurs en chef seraient désormais élus par les rédactions. Ce serait une erreur et un précédent dangereux, promis sous la pression. C’est l’exemple même des fausses bonnes idées.

La gestion du secteur des médias mérite davantage de recul, de hauteur et de concertation avec les professionnels. C’est tout un système qu’il faut mettre en place, qui garantirait l’indépendance des médias publics tout en apportant suffisamment de garde-fous éthiques et de professionnalisme. Le secteur a besoin d’être assaini. Il y a trop de relents benalistes et rcdistes. Mais le gouvernement a mal communiqué, il a fait croire que les nouvelles nominations avaient un seul objectif : mettre les médias publics au service du gouvernement.

De plus, le gouvernement n’a pas compris une chose : dans une démocratie, il ne faut pas incriminer les médias si on ne sait pas soi-même communiquer. C’est au gouvernement qu’il appartient de défendre sa politique et ses décisions, et s’il ne convainc pas ces relais indispensables que sont les médias, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même.

Une année après, une grande partie de la population estime que la révolution est inachevée.  A quoi a servi la révolution si les mêmes têtes continuent à gérer les médias importants ou bien les services essentiels de la sécurité ? A quoi a-t-elle servi en l’absence de vraies enquêtes et de vraies poursuites contre le clan Trabelsi-Benali ?

Malgré les maladresses, ces décisions sont donc légitimes et il faut les soutenir. Et il est compréhensible que ce gouvernement issu des urnes, cherche à renforcer sa légitimité par des démonstrations de force populaires.

Construire une démocratie passe entre autres par deux pré-requis : une presse et une justice indépendantes et professionnelles.

Sur le premier point, le gouvernement doit réviser sa copie. Pour le moment, quelles que soient ses intentions, il a montré une profonde méconnaissance de ce monde.

Sur le second, le gouvernement peut donner l’exemple en défendant en toutes circonstances, la prééminence de la loi. Par exemple à la Faculté de La Manouba ou à Sejnene.

Et surtout, que le parti dont il est l’émanation lance l’élaboration de la Constitution. C’est avant tout cela qui peut apaiser les esprits, renforcer la légitimité de l’Exécutif et c’est pour cela que les Tunisiens ont voté.

Naceureddine Elafrite