Billet. Tunisie : Au pied du mur, Ennahdha cède sur l’ex article 1


Enième reculade d’Ennahdha. Sous pression, cerné de toutes parts par les salafistes d’un côté et l’ensemble de la classe politique de l’autre, le parti islamiste met de l’eau dans son vin, mais seulement une fois contraint et forcé.




 


Ce n’est pas la première fois qu’Ennahdha faisait monter les enchères. Au lendemain de son triomphe électoral, le parti a envoyé certains de ses dignitaires, dont Habib Khedher, en service commandé dans les médias, pour lancer des ballons d’essai d’une volte-face par rapport à la promesse d’un Etat civil.


Il s’agissait d’exiger dorénavant que figure la charia en tant que source du droit dans la future Constitution, et de ne plus se contenter du préambule « l’islam est la religion de la Tunisie ».


Coup de théâtre hier soir dimanche : A l’issue d’une réunion du bureau politique d’Ennahdha, le parti a décidé que sa position officielle est désormais de reconduire l’article 1 de l’ex Constitution de 1959. C’est ce qu’annonce, confuse, la présentatrice du JT de 20h de la TV nationale, lisant fébrilement une dépêche.


 


Une annonce faite à contrecœur


Plus tard dans la soirée, les premières vidéos d’explications un peu laborieuses commencent à être publiées par la page officielle d’Ennahdha.


Celle d’un meeting populaire de Rached Ghannouchi d’abord. Celui-ci s’y efforce d’expliquer aux militants que l’ex article 1 est « suffisant pour qu’aucune loi anti islamique ne passe dans le pays ». Non sans peine, il tente de convaincre son auditoire que « les consciences ne sont pas encore prêtes à aller plus loin pour l’instant », mais que « le temps viendra pour que les Tunisiens voient la charia d’un œil meilleur ».


Ameur Larayedh qui a présidé la réunion du bureau politique tenue samedi et dimanche, explicitera sur les ondes de Mosaïque FM la clarification de la position de son parti sur la charia. Il s’engage à « préserver l’identité arabo-islamique de la Tunisie » lors du prochain congrès de juillet, donnant l’impression de vouloir se justifier et de donner des gages à sa base.


 


Les raisons d’un désistement


Les temps sont durs pour Ennahdha. Les mauvaises nouvelles s’accumulent dernièrement pour le parti au pouvoir. Il a été lâché par l’opposition à qui il demandait de l’aide pour gouverner, puis désavoué par l’opinion sur sa théorie du complot, et enfin débordé par l’action des salafistes de plus en plus incontrôlables. 


Lors du meeting Appel de la Nation à Monastir, Ahmed Néjib Chebbi a révélé que l’actuel gouvernement avait sollicité l’aide des compétences de l’opposition lors d’une récente réunion, débordé et incapable de gouverner. « Nous avons refusé et avons exigé au lieu de cela la nomination de technocrates au gouvernement », a affirmé le leader du PDP.


Lotfi Zitoun, conseiller politique de Hamadi Jebali, avait prétexté un mystérieux complot contre son gouvernement pour justifier les difficultés rencontrées par son parti. Au dernier débat télévisé organisé par la TV nationale pour confronter ses propos avec d’autres personnalités, la prestation médiocre et houleuse de l’intéressé n’a fait que démontrer l’ampleur du désaveu par rapport à sa théorie.


Pour couronner cette loi des séries, Mokhtar Jebali, cheikh trublion du salafisme, s’est promis de régulièrement investir tous les emplacements les plus symboliques de la capitale par ses troupes déchainées, qui répondent du tac au tac aux manifestations modernistes.


Le spectacle qu’ils donnèrent hier Place du 14 janvier et Avenue Bourguiba fut désastreux en termes d’image pour Ennahdha. « Takfir » de Béji Caïd Essebsi traité d’« ennemi de Dieu », envahissement de la grande horloge escaladée en toute impunité, à quelques mètres du ministère de l’Intérieur, appel au « meurtre des juifs », et harcèlement violent des artistes du Festival du théâtre…


 


Reculer pour mieux sauter ?


La coupe est pleine pour une majorité de Tunisiens, les caciques d’Ennahdha le savent, et au terme d’une journée de chaos, il leur fallait donc réagir. Il s’agissait aussi de devancer les critiques légitimes d’incompétence. 


Pour se dédouaner d’avoir accordé deux autorisations pour deux manifestations simultanées aux salafistes et aux artistes, le ministère de l’Intérieur Ali Laâridh se contente le soir même d’affirmer que la manifestation des salafistes a débordé sur son itinéraire initial (Place 14 janvier – TGM).


Dans un autre communiqué, qui tombe dans le même journal télévisé de 20h, l’annonce surprise était donc faite dans la foulée que le parti renonce à ce qui avait pourtant été sa position officielle de surenchère sur l’ex article 1.


Si cette fois le parti cède à la faveur d’un phénomène des vases communicants, répondant à la fronde qui s’organisait en arrondissant les angles, l’apparent malaise de ses décideurs laisse penser qu’ils seront tentés à l’avenir par de nouvelles fuites en avant pro charia, voire un amendement en ce sens de la Constitution, dès que le climat politique le permettra. L’avenir dira si ce n’est que partie remise.


Seif Soudani