Billet. Le «mezrisme», cette autre maladie de la Tunisie

 Billet. Le «mezrisme», cette autre maladie de la Tunisie


Inventer un néologisme autour de son nom est sans doute faire trop d’honneurs à cet ex lieutenant de Ben Ali. Mais, Mezri Haddad incarne probablement mieux que quiconque ce mélange indigeste entre autoritarisme, souverainisme, nationalisme arabe et nostalgie des hommes forts des dictatures. Un pur produit du bénalisme dont, ironie du sort, il fut l’ambassadeur aux Nations Unies (à l’Unesco).




 


En sillonnant récemment un des quartiers d’affaires de Tunis, Montplaisir, je tombe nez à nez avec un monument insolite qui résume à merveille ce qu’est le mezrisme. Là, trônent depuis peu deux gigantesques enseignes se faisant face : celle d’Ennahdha parti islamiste, et celle de l’UPL, parti nationaliste, surplombant leurs deux sièges respectifs. Comme pour narguer son pendant religieux, l’autre extrême droite élisait domicile à quelques encablures de ce qui est au fond son modèle d’insolente réussite populiste.


En rentrant, je tombe cette fois sur cette tribune datée de mercredi qui agite la toile et les cercles droitards qui en jubilent. Mezri a reparlé. L’homme au jargon facho-essentialiste qui qualifiait de « hordes fanatisées » les mouvements sociaux prélude à la révolution du 14 janvier, nous gratifie cette fois d’un texte qui, au nom de la lutte anti-intégriste, est un hymne à la gloire des régimes voyous. Sorte de dégueuli négationniste et contre-révolutionnaire, logorrhée mal écrite qui incarne à elle seule ces deux fléaux dont souffre le monde arabe tout entier, l’idéologie qu’elle développe étant une variation sur le même thème de la tyrannie tantôt théocratique, tantôt faussement laïque.


 


La supercherie du « patriotisme »


« La droite patriote ». C’est ainsi que les militants du Front National s’auto désignent désormais en France.


Le « patriotisme algérien » obsessionnellement souverainiste, est un autre mythe de plus en plus adulé par les jeunes et les moins jeunes conservateurs tunisiens qui le donnent en exemple.


Ainsi donc, après que les démocrates du monde entier aient loué le modèle tunisien moderniste qui avait fait le choix d’une économie basée sur les services, le tourisme et l’éducation, là où le voisin algérien misait sur l’industrie lourde et faisait appel aux Frères Musulmans égyptiens pour les pourvoir en enseignants pendant des décennies, des néo-vichystes tunisiens érigent en 2012 l’Algérie de Bouteflika en modèle à suivre. L’Algérie de la réconciliation nationale avec les islamistes, alors que le sang des victimes égorgées au nom du djihadisme est encore chaud.


Selon une posture mi angéliste mi mythomane, on nous présente les résultats des dernières élections en Algérie comme une cuisante défaite pour l’islamisme politique, preuve selon Mezri Haddad que le triomphe du FLN serait aussi le parachèvement de la sécularisation de ce pays en un temps record. L’islamisme algérien serait à 10%…


Ce n’est pas ce que me rapportent par exemple mes amies algériennes, qui ne peuvent plus se baigner en tenue de plage dans les plages publiques algériennes. Ce n’est pas non plus le récit de tous ceux qui ont tenté de dé-jeûner durant le ramadan en Algérie et qui, l’été, poursuivent toujours en venant en nombre en Tunisie une liberté qu’ils n’ont pas chez eux.


La vérité est que, quand bien même les nombreuses irrégularités observées dans les bureaux de vote algériens lors des législatives étaient fictives, ne pas avoir saisi que le pouvoir algérien a pu contenir en le canalisant l’islam politique par un subterfuge grotesque, cela confine soit au déni de réalité, soit à la malhonnêteté intellectuelle.


 


La dictature, alliée objective du fondamentalisme


Mezri Haddad est pourtant bien placé pour le savoir, lui qui posait en compagnie de Rached Ghannouchi au début des années 90 : Ben Ali était sur la même voie que Bouteflika et ses généraux aujourd’hui, celle du Fattah de Mahmoud Abbas réconcilié avec le Hamas, ou encore celle de Bachar Al Assad, sponsor du Hezbollah et meilleur ami de l’Iran des mollahs.


Dès 1987, Ben Ali déroulait le tapis rouge aux leaders d’Ennahdha et ceux-ci le lui rendaient bien. L’appel à la prière faisait son apparition à la TV, la foi de Ghannouchi en Ben Ali « était grande », et le ministère des Affaires religieuses était créé.


20 ans plus tard, entré en phase d’auto-préservation à tout prix, Ben Ali proposait aux tunisiens un islamisme soft, un gendre se chargeait d’implanter la finance islamique dans le pays, la radio coranique Zitouna fut fondée, Qaradhaoui louait la sollicitude avec laquelle les autorités tunisiennes entouraient les rites religieux, et Ben Ali recevait des fax de félicitations de la part des leaders d’Ennahdha quasiment tous libérés.


Entre ces deux phases d’entente cordiale, la droite bénaliste se sera évertuée à fournir à la droite religieuse une légitimité inespérée, en appliquant un tour de vis sécuritariste, décimant férocement le noyau dur des 40 000 militants nahdhaouis, plutôt que d’opter pour une moins facile politique de la pédagogie laïque et sociétale dont elle n’a pas les moyens conceptuels.


C’est ce même goût pour « l’ordre » que préconise le nostalgique de l’Etat policier Mezri Haddad de la façon la plus décomplexée, pense-t-il. Ainsi, il place le patriotisme « au-dessus de toutes les autres valeurs », un aveu de son mépris pour les idéaux universalistes, pour ensuite développer une rhétorique des plus sarkozystes, sur le mode ringard de l’anti mai 68, de l’amour de l’ordre et de la sécurité, la liberté et la démocratie étant reléguées au rang de chimères.


Ultime tromperie, l’homme prétend être un adepte de la sécularisation avant la démocratisation, lui qui vomit « la laïcité à la française », emploie des termes aussi orduriers et antisémites que « Qatrael » et veut employer en réalité la même violence des néoconservateurs qu’il dénonce, à l’égard des islamistes.


Au moment où le régime baathiste tue à tour de bras, ce fervent pourfendeur de l’ingérence étrangère et défenseur de Bachar Al Assad, a l’audace de « préférer avoir tort avec Ben Ali ». Historiquement à côté de la plaque jusqu’au bout, il a tort sur toute la ligne.


Les caniveaux de l’Histoire retiendront que les nostalgiques de la poigne et des régimes criminels et corrompus ont rendu le pire service au camp démocrate en se revendiquant fallacieusement de l’anti islamisme. Aujourd’hui, une loi ne serait pas de trop pour criminaliser par contumace et par principe les propos lâches de ces expatriés anti démocrates des temps modernes.


Seif Soudani




(Photo Seif Soudani)