Atmane Tazaghart : Aqmi s’est bel et bien infiltré en Tunisie et en Libye

Si vous vous intéressez à l’avenir de l’Afrique du Nord, courez lire le livre d’enquête que Atmane Tazaghart, journaliste et essayiste algérien, vient de publier en France, « Aqmi. Enquête sur les héritiers de Ben Laden au Maghreb et en Europe » (Jean Picollec Ed.). Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’islamisme radical, et d’Aqmi. Il avait déjà publié, avec Roland Jacquard, « Ben Laden, la destruction programmée de l’Occident ».

Il répond ci-dessous à nos questions.

 

 

-Comment Aqmi essaie-t-elle de tirer profit des révolutions en Tunisie et en Libye ?

-Même si tout le monde s’accorde à dire que les révolutions tunisienne et égyptienne n’ont pas été faites par des islamistes, qu’ils soient jihadistes ou modérés, il est clair que la chute de régimes autoritaires crée toujours un chaos sécuritaire dans les jours et les semaines qui suivent la chute du régime, en attendant la relève.

J’ai eu entre les mains différents documents, des télégrammes diplomatiques, des rapports de services de sécurité qui montrent que dès la mi-décembre 2010, il y avait une remontée d’éléments d’Aqmi à partir du Sahel pour s’installer dans des régions frontalières entre la Tunisie et l’Algérie ; Ben Laden avait par la suite donné instruction aux chefs d’Aqmi dans le Sahel, avec la validation de l’émir du groupe Abdelmalek Droukdal, pour s’infiltrer en Libye en profitant du chaos.

Dans les jours qui ont suivi la chute du régime tunisien, un groupe dirigé par un émir tunisien qui a été nommé par Aqmi et qui s’appelle Mounir Al-Haidara, s’est infiltré dans la région de Raml El Abiadh, au croisement des frontières entre les trois pays, Algérie, Tunisie et Libye.

Au lendemain du déclenchement de l’insurrection en Libye, il y a eu un rapport selon lequel ce groupe avait envoyé cinq émissaires aux Berbères de Jebel Nefoussa de l’autre côté de la frontière en Libye. Selon ce rapport, les cinq émissaires étaient tous berbérophones, des touaregs du Mali et des kabyles d’Algérie. Les tribus en question n’ont pas le droit de posséder des armes depuis un quart de siècle, une condition imposée par Kaddafi qui avait peur d’un séparatisme berbère. Les émissaires sont arrivés au lendemain des premiers discours de Seif El Islam et de Kaddafi, lesquels dans ce contexte bien particulier, avaient menacé les libyens d’affrontements tribaux.

On imagine donc à quel point ces berbères qui n’avaient pas d’armes et qui craignaient des affrontements tribaux, ont accueilli avec soulagement la proposition de leur fournir des armes.

L’arrière-pensée de ce groupe, c’est de constituer une base arrière en Tunisie, adossée à ces montagnes berbères, de créer des alliances avec les tribus berbères comme Al Qaïda avait su le faire dans les régions pachtounes de l’Afghanistan et du Pakistan.

Les arrestations des dernières semaines en Tunisie, la saisie d’armes, les plans élaborés trouvés en la possession des personnes arrêtées, tout cela confirme cette nouvelle stratégie d’Aqmi.

Aqmi et les islamistes n’ont pas participé à ces révoltes populaires mais essayent d’en tirer profit.

Dans le conseil de transition libyen, il y a des anciens du GICL, Groupe islamique combattant libyen, et qui avaient pris le pouvoir dans certaines régions près de Benghazi. Au lendemain de l’insurrection, ils avaient annonce la création d’un émirat islamique à El Beidha et Benghazi, avant de se rétracter et de rallier le conseil de transition, mais ils sont toujours là.

 

-Pour en revenir à la Tunisie, vous semblez dire qu’Aqmi s’est infiltré en Tunisie. Il y a donc des bases, des stocks d’armes…

-Oui. Et il s’agit bien de groupes infiltrés par Aqmi.

 

-Vous croyez les autorités tunisiennes quand elles disent que les personnes arrêtées ou tuées sont des terroristes?

-Absolument, elles ont plutôt essayé de minimiser au début.

Nous avons affaire à des groupes déterminés. Aqmi et bien avant les révoltes, essayait toujours de jouer sur les situations tendues. Par exemple, dans les régions du Sahara, en même temps qu’il y avait les événements du camp de Laâyoune, Aqmi a essayé de faire passer des armes, par les filières de contrebande de cigarettes. Un arsenal impressionnant a été découvert à Amgala. Malheureusement, Algériens et marocains n’arrivent pas à collaborer sur les dossiers sécuritaires.

S. L.

 

 

 

 

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