Algérie. Tour de vis sur les libertés associatives
Le ministre de l’Intérieur et des collectivités locales Daho Ould Kablia vient de donner raison à ceux qui, au lendemain de la levée de l’état d’urgence en février dernier, ont crié à la manœuvre du pouvoir de Bouteflika. Le gouvernement veut reprendre d’une main ce qu’il a concédé de l’autre. En effet, le projet de loi sur les associations, actuellement en débat au niveau du Conseil de la Nation, est porteur de graves dangers pour les libertés publiques.
Désormais, les animateurs du mouvement associatif n’ont plus le droit d’observer des sit-in ou des rassemblements devant les institutions de l’Etat (Présidence, Chefferie du gouvernement, Ministère du Travail,…) ni d’appeler à la grève.
Toute association qui se mettra en infraction avec la nouvelle loi se verra tout bonnement retirer son agrément. Si on voulait tuer la société civile, on ne s’y prendrait pas autrement. Une régression que les gouvernements précédents n’ont pas osée même durant la décennie noire !
Interpellé mardi par les membres du conseil de la Nation sur le contenu de l’article 40 stipulant la suspension, voire la dissolution de toute association accusée d’ « ingérence » dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale, M. Ould Kablia a soutenu que « la non-ingérence dans les affaires internes du pays signifie qu’à partir de la promulgation de ce nouveau texte, les associations n’auront pas le droit de s’interférer dans les affaires d’ordre public ».
Continuant sur sa belle lancée, M. Ould Kablia s’est exclamé : « Les associations qui lancent des appels à des grèves visent la perturbation de l’ordre public ». « Elles s’ingèrent dans la politique du pays et de ce fait, elles risquent de disparaître », a-t-il encore menacé. Sidérant!
Avec cette nouvelle loi, les Algériens sont officiellement interdits d’avoir un quelconque droit de regard sur la politique du gouvernement et sa gestion des affaires publiques.
Question : les affaires publiques sont-elles un domaine exclusivement réservé aux seuls membres du gouvernement ? Les membres des associations sont-ils des étrangers pour se voir reprocher leur « ingérence » dans ce qui ne les concerne pas ? M. Ould Kablia ne le dit pas mais l’esprit de sa loi le suggère.
Indignation du réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
Inquiet de cette dérive liberticide, le réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) dont sont membres deux organisations algériennes (le Collectif des familles des disparus d’Algérie et la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme) a qualifié, dans un communiqué, la nouvelle loi de « répressive ».
« Nos organisations regrettent que le texte adopté par l’APN n’ait pas subi de modifications substantielles et condamnent fermement les dispositions de ce texte qui ne garantissent pas le droit à la liberté d’association et imposent des restrictions importantes à la vie associative, notamment en matière de coopération entre les associations algériennes et internationales », explique-t-il.
« Il est à craindre que les critères imprécis pour refuser l’enregistrement des associations permettront aux autorités administratives d’empêcher la constitution des organisations plus critiques vis-à-vis du gouvernement, comme les organisations de défense des droits de l’Homme ou de familles de disparus qui demandent l’abrogation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et militent pour la vérité et la justice », avertit le REMDH.
Pour le réseau, « seul un véritable processus participatif, transparent et inclusif avec la participation de l’ensemble des organisations indépendantes de la société civile peut aboutir à des réformes démocratiques ».
Il faut dire que les autorités n’ont pas attendu l’adoption de la nouvelle loi par les sénateurs pour la mettre en pratique. Mardi, plusieurs organisations syndicales du secteur de l’éducation ont été empêchées d’observer un sit-in devant le siège du ministère du travail.
Par ailleurs, une quarantaine d’enseignants contractuels qui tenaient un sit-in devant un bâtiment du ministère de tutelle ont été arrêtés et matraqués par la police.
Ainsi, avec cette nouvelle loi, le ministre de l’intérieur a apporté de l’eau au moulin de ceux qui reprochaient aux autorités l’absence de toute volonté à engager des réformes politiques profondes comme promis par le chef de l’Etat en avril dernier.
Yacine Ouchikh