Algérie. Ouyahia remet Erdogan à sa place

 Algérie. Ouyahia remet Erdogan à sa place

« Personne n’a le droit de faire du sang des Algériens un fonds de commerce»

Le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia a vertement répliqué à son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a tenté d’utiliser la colonisation française de l’Algérie pour solder ses comptes avec le gouvernement français.

 

« Personne n’a le droit de faire du sang des Algériens un fonds de commerce », a assené Ahmed Ouyahia lors d’une conférence de presse animée samedi 7 décembre au siège national de son parti à Ben Aknoun (Alger).

Au lendemain du vote par l’Assemblée française d’une proposition de loi pénalisant la négation de tout génocide, ce qui inclut le génocide arménien de 1915 par les Turcs, le Premier ministre turc a contre attaqué en accusant à son tour, le 23 décembre 2011, la France d’avoir commis un génocide en Algérie.

« On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s’agit d’un génocide », a-t-il soutenu avant d’ajouter plein de sarcasme : « Si le président français ne sait pas qu’il y a eu un génocide, il peut demander à son père, Paul Sarkozy, qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940. Je suis sûr qu’il a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie ».

« Une carte politique, pas plus »

Pour Ahmed Ouyahia, la Turquie n’est pas du tout fondée à s’émouvoir des malheurs vécus par les Algériens durant la colonisation française, elle qui « avait toujours voté contre toute les résolutions favorables à l’Algérie durant la Révolution ».

« La Turquie, qui était membre de l’OTAN, pendant la guerre d’Algérie, et qui l’est encore, avait participé, de par sa qualité de membre de cette Alliance, à fournir des moyens militaires à la France, dans sa guerre en Algérie, au moins par l’achat d’une bombe larguée en Algérie ou d’une balle tirée contre des Algériens », a-t-il rappelé.

De fil en aiguille, M. Ouyahia s’en est pris aux parties à l’origine de la loi criminalisant la colonisation française en Algérie qui, à ses yeux, n’est qu’«une carte politique, pas plus».

Pour lui, cette initiative est un « désaveu aux dirigeants algériens depuis 1962 qui n’avaient pas élaboré une telle loi ». Et à Ouyahia de marteler : « Défendre la révolution passerait par l’édification d’une Algérie forte ».

Levée de boucliers chez les islamistes

Cette sortie du Premier ministre algérien a donné cours à une véritable levée de boucliers chez les partis islamistes. Le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP), Aboudjerra Soltani a qualifié les déclarations d’Ouyahia de « très graves ».

« Si les propos d’Ouyahia reflètent la position officielle de l’Etat algérien, il faut s’en inquiéter car ces déclarations sont très graves. Mais en tant que secrétaire général d’un parti, on peut croire que c’est seulement la vision du RND », a-t-il soutenu lors d’une conférence de presse animée hier dimanche, non sans préciser que « la politique extérieure du pays est l’œuvre du président et non du Premier ministre ».

Selon lui, l’Algérie doit  plutôt être reconnaissante au premier ministre turc pour avoir « osé » qualifier la colonisation française de génocide.

« Il faut remercier Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, pour avoir osé parler des crimes commis durant la période coloniale », a expliqué M. Soltani avant de s’interroger : « Les Algériens utilisent-ils la question sahraouie comme un fonds de commerce ? Nasser, Bourguiba, Mohammed V ont-ils exploité la question algérienne et la Guerre de libération nationale comme un fonds de commerce ? ».

Même indignation chez le parti El Islah qui, dans un communiqué rendu public hier, a vu dans les déclarations d’Ouyahia « un service rendu à Sarkozy qui s’est immiscé dans un problème entre la Turquie et l’Arménie, sans que celle-ci l’accuse de marchander le sang des Arméniens ». Pour El Islah, le Premier ministre Ouyahia a décomplexé la France sur « son passé criminel en Algérie ».

Le parti algérien Ennahda a lui aussi joint sa voix à ce choeur d’indignations en voyant dans les propos d’Ouyahia un soutien à la France qui « refuse toujours de reconnaître ses crimes commis en Algérie durant la période coloniale ».

Yacine Ouchikh