Algérie- Moines de Tibhirine, les services de renseignement algériens accusés


Une tragédie sans nom, une enquête qui piétine, et des proches qui n’ont pu faire leur deuil. C’est en ces mots que se résument l’enlèvement et l’assassinat des moines de Tibhirine en 1996 dans l’Atlas algérien, à 80 kilomètres d’Alger.

Qui a été à l’origine de ce drame qui a défrayé tristement la chronique et continue de le faire notamment après la sortie du film de Xavier Beauvois en 2010 « Des hommes et des dieux » ? Quinze ans après, la tragédie avec ses détails macabres est revenue sur le devant de la scène pour alimenter de nouvelles hypothèses relayées par la presse française et algérienne. Nouveaux témoignages dans un documentaire diffusé par Canal+ et un livre qui sort demain en librairie.

Qui est l’auteur de ce crime atroce ?

De nombreuses thèses se contredisent sur l’enlèvement puis l’assassinat des moines dont seulement les têtes ont été retrouvées. Mais aujourd’hui des Algériens, témoins décisifs pour la plupart anonymes, reviennent sur les faits et pointent unanimement le doigt sur le DRS, le redoutable département du renseignement et de la sécurité algérien. Ils racontent leur version au journaliste Jean-Baptiste Rivoire dans son documentaire diffusée lundi 19 septembre sur la chaîne Canal+, accompagné d’un livre dont la sortie en librairie est prévue demain 22 septembre aux éditions La Découverte.

Un des témoins, le seul à parler à visage découvert Karim Moulaï, est résidant aujourd’hui à Glasgow, en Ecosse. Il est présenté comme un ancien agent du département du renseignement et de la sécurité algérienne, sa version pointe la responsabilité directe du département de renseignement dans le drame. Selon lui, les moines auraient été enlevés par de « faux » islamistes agissant pour le compte du DRS, et l’exécution aurait été perpétrée par des agents des services de renseignements algériens.

La thèse de l’implication directe du DRS est soutenue par une autre révélation aussi décisive ; celui d’un dénommé Rachid. Sous ce pseudonyme et à visage couvert, se cacherait un ancien membre du commando du GIA chargé d’enlever les moines. Il reprend en détail les étapes de l’enlèvement, la séquestration et les événements sinistres qui ont eu lieu la nuit du 25 au 26 mars 1996.  Ses propos : « On leur disait marchez, marchez, le Frère Luc demandait tout le temps de pisser, mais on n’avait pas le temps, il fallait sortir le plus vite possible de la zone de Benhadjar, un vrai dirigeant du Front islamique du salut ».

Quelles seraient les motivations du DRS ?

Les hypothèses sont multiples : un faux « enlèvement islamiste » pour contraindre les moines appréciés des « vrais » islamistes qu’ils soignaient à partir, ou encore un moyen pour faire pression sur la France. Mais deux moines ont été oubliés dans le monastère qui ont confirmé ne pas reconnaître la façon de faire des islamistes qu’ils connaissaient bien. La manipulation aurait mal tourné. La présence de témoins gênants aurait contraint finalement à l’élimination des moines.

C’est le juge antiterroriste Marc Trévidic qui a été chargé de l’instruction judiciaire, ouverte à Paris en 2004, mais l’enquête à ce jour n’a pas permis de lever le voile sur le déroulé de la tragédie et encore moins de reconstituer les morceaux du puzzle pour désigner le ou les coupables.

« Ce n’est pas une vérité judiciaire »

C’est l’avis de Me Patrick Baudouin qui déclare qu’« en dépit de la qualité du travail d’investigation, ces témoignages ne constituent pas une vérité judiciaire ». L’avocat de la famille de frère Christophe Lebreton et du P. Armand Veilleux ajoute encore qu’«il faudra vérifier ces informations, auditionner les témoins. Toutefois, trop d’éléments convergent aujourd’hui qui permettent d’affirmer que la thèse algérienne officielle de la prise d’otages par des islamistes armés ne tient pas ».

La commission du secret-défense devra se tenir d’ici à la fin de ce mois, apprend-on, pour décider sur les requêtes de déclassification de certaines pièces indispensables pour lever le mystère et mener l’enquête à son terme. Quant à la partie algérienne, elle n’est pas sortie de son mutisme, le même observé depuis quinze ans.

Les familles, elles, attendent patiemment que toute la lumière soit faite.

Soufia Limam