Algérie. Les messages codés de Bouteflika

 Algérie. Les messages codés de Bouteflika

S’il refuse qu’on lui fasse la leçon

Le Bouteflika du début des années 2000 est de retour. Donné pourtant très malade, le président Bouteflika n’a pas moins retrouvé, l’espace de l’ouverture de l’année judiciaire mercredi 21 décembre, sa grande verve d’antan et son accent grandiloquent et martial. L’espace d’un discours certes court – de 18 minutes à peine – mais offensif à souhait et plein de saillies, le chef de l’Etat algérien a répondu du tac au tac et lancé de nombreux et importants messages.

Pur produit du mouvement national, Bouteflika a tenu à signifier son refus de toute ingérence dans les affaires internes du pays. « Le peuple algérien est attaché à son indépendance et à sa souveraineté, et refuse que les choses lui soient dictées », s’est-il exclamé.

Refus de toute ingérence

« Nous ne sommes pas là pour faire de cette indépendance un objet de surenchère et nous n’avons pas le droit de le faire », a-t-il ajouté. A suivre le raisonnement de M. Bouteflika, il y aurait des pays étrangers qui voudraient dicter à l’Algérie la démarche à suivre en s’appuyant sur des relais internes qui seraient prêts à marchander l’indépendance du pays.

Ce discours présidentiel aux accents souverainistes est-il une simple digression discursive puisée dans la littérature démagogique et patriotarde chère au système pour titiller le sentiment nationaliste des Algériens? Il semble que non. Surtout que, depuis quelque temps, on susurre çà et là que certaines officines étrangères comptent appliquer à l’Algérie une solution à la libyenne.

Et lors de la réunion de la Ligue arabe du mois d’octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a abruptement sommé le chef de la diplomatie algérienne de se taire car, menaçait-il, le tour de l’Algérie viendra.

Dernièrement, la porte-parole du Parti des travailleurs (PT) Louiza Hanoune, qui rencontre régulièrement le chef de l’Etat, a ouvertement accusé le leader islamiste Abdellah Djabellah de rouler pour l’agenda américain. Tout porte donc à croire que le propos de Bouteflika est destiné à ces parties-là qu’il a toutefois pris le soin de ne pas nommer.

L’Algérie est au stade de l’apprentissage démocratique

Cachant à peine son agacement, le président Bouteflika a refusé qu’on lui fasse le procès sur le chapitre des libertés démocratiques. « Je ne dis pas que nous avons franchi toutes les étapes et il n’y a pas lieu de faire des comparaisons entre ce qui se passe chez nous et ce qui se passe en Grande-Bretagne ou même en France », expliquait-il avant d’ajouter : « Nous faisons notre apprentissage en la matière. En conséquence, aucun reproche ne doit être fait à notre encontre ou à l’encontre de ceux qui nous critiquent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ».

S’il refuse qu’on lui fasse la leçon, Bouteflika a toutefois convenu de l’existence d’un déficit démocratique dans le pays. « Il est possible qu’il y ait des lacunes ou des étapes non encore franchies. Celles-ci interviendront progressivement et émaneront de notre peuple qui n’a confiance qu’en ses propres réalisations », a-t-il admis.

Et de se tourner vers ses détracteurs d’ici en leur lançant des piques assassines. « Ce sont les personnes et les associations qui sont en perte d’influence sur la scène politique qui élèvent le plus la voix », a-t-il asséné.

Sur un ton de défi, le chef de l’Etat a soutenu que si la démocratie était la multiplicité de petits partis, que ces derniers prouvent alors « leur mérite » à travers les élections qui « sont le véritable critère de toute force politique ».

Mais comment peut-il juger d’un poids politique ou électoral d’un quelconque parti, lui qui a ouvertement reconnu que « par le passé, nous avons connu des élections à Naegelen », c’est dire truquées de bout en bout ?

Autre cible de Bouteflika : les tenants de l’exception algérienne. Pour lui, l’Algérie ne peut pas vivre en vase clos. « L’Algérie fait partie de ce monde. Elle subit son influence et influe sur lui, mais elle n’a pas à revenir à des expériences qu’elle a vécues depuis des décennies », a-t-il remarqué.

Comme lors du dernier conseil des ministres, le président Bouteflika a promis d’organiser au printemps prochain des élections démocratiques. « Nous allons vers d’importantes échéances politiques qui laissent transparaître des horizons où régnera une démocratie qui réunit tous les éléments nécessaires et qui permettra de rétablir la confiance entre le citoyen et les institutions parlementaires à tous les niveaux », a-t-il promis, non sans avoir auparavant appelé à « la révision des méthodes de notre expérience nationale». Et cela revient à confier l’instauration d’une démocratie à un système foncièrement antidémocratique. Une équation impossible, en somme.

Yacine Ouchikh