Algérie. Le nouveau code de l’information inquiète les journalistes

 Algérie. Le nouveau code de l’information inquiète les journalistes

Malgré les nombreuses critiques

Dangereuse régression pour les uns, grande avancée pour les autres. Le nouveau code de l’information, en débat actuellement à l’Assemblée populaire nationale (APN), est diversement apprécié.

Pour les professionnels des médias, le texte concocté par le ministère de la Communication est porteur de beaucoup de restrictions pour l’exercice libre du métier de journaliste.

A l’appel de l’Initiative nationale pour la dignité du journaliste (INDJ), un nouveau syndicat non agréé, des journalistes ont observé, lundi 28 novembre un sit-in devant le siège de l’Assemblée pour exprimer leur opposition au contenu du texte.

« Ce projet de loi sur le code de l’information ne répond pas aux aspirations des professionnels des médias. Les pouvoirs publics cherchent encore une fois à museler les journalistes », s’élève le porte-parole de l’INJD, Rabah Chibani, avant d’avertir : « Les députés vont approuver un projet qui est synonyme de régression et qui porte atteinte à la liberté d’expression ».

Partageant les mêmes inquiétudes que ce nouveau venu sur la scène syndicale, le Syndicat national des journalistes (SNJ) dirigé par Kamel Amarni a toutefois préféré s’adresser directement aux députés pour les sensibiliser sur leur « responsabilité historique » afin de «doter le pays d’un cadre législatif et juridique digne d’une presse à laquelle nous aspirons tous : libre, moderne, citoyenne ».

Les « carences » d’un code

Dans sa lettre aux parlementaires rendue publique le jour même de l’examen de l’avant-projet de loi portant sur le code de l’information, le SNJ a relevé toutes les « carences » de ce « code pénal-bis », comme l’ont affublé certains professionnels des médias en référence au tour de vis imposé en 2001 à la profession, tout en formulant un bouquet de 18 propositions à même d’édifier « une presse ne répondant qu’aux strictes normes universelles ».

« Le journaliste algérien, qui avait fait face à la folie terroriste des années d’enfer, au prix de dizaines de martyrs parmi les siens, ne peut demeurer, ni accepter cet éternel sous-statut auquel le confine une situation d’anarchie «planifiée », sciemment entretenue par les pouvoirs publics, au profit de personnes (…) Cette situation, où le non-droit est érigé en loi, doit cesser », assure le SNJ dans sa missive.

Parmi ses suggestions, le syndicat dirigé par M. Amarni a proposé « la reformulation de l’article 2 qui, de son avis, « impose énormément de contraintes dans l’exercice de la profession ».

« Cette série d’interdictions constitue réellement des handicaps pour les journalistes et limite leur liberté d’action et d’initiatives. Cet article nécessite une modification dans le sens de plus de souplesse pour n’en garder que les interdictions raisonnables et universellement admises », ajoute-t-il.

Autre disposition du texte qui n’est pas du goût du SNJ : l’article 80 qui « énonce une série de restrictions qui font que le journaliste ne pourrait accéder qu’à des informations très superficielles et sans importance ».

Un rejet quasi unanime

Dans un article très critique publié aujourd’hui dans El Watan, Faycal Metaoui, ancien rédacteur de ce journal francophone, a écrit : « exprimant une logique de fermeture et remettant en cause profondément la crédibilité des « réformes » politiques du président Abdelaziz Bouteflika, le projet de loi sur l’information doit être revu de fond en comble ou retiré pour être discuté à travers un débat transparent, ouvert et public ». C’est dire que chez les gens de la presse, le rejet de ce nouveau texte est quasi unanime.

Il faut dire que les professionnels ne sont pas les seuls à critiquer le nouveau code de l’information. Certains députés, ont qualifié le texte de Nacer Mehal d’« œuvre de régression ».

« C’est là un net recul et un gel du secteur des médias, en contradiction avec les standards internationaux », a dénoncé un député du parti islamiste Mouvement pour la société de la paix (MSP), rapporte le journal El Watan.

« Le code de 1990 renfermait des mesures intéressantes visant à préserver l’intérêt du journaliste, à l’exception des dispositions portant sur l’emprisonnement. Le projet en débat aujourd’hui à l’APN est en recul car il renvoie, dans plusieurs domaines, vers d’autres lois », a relevé un député du parti majoritaire, le FLN, avant ajouter : « Tous les secteurs se sont pratiquement dotés d’un code de l’éthique et de déontologie fait uniquement par les gens du métier. Je ne comprends pas pourquoi la corporation journalistique n’a pas le droit, à elle seule, de mettre en œuvre ce code de l’éthique ».

L’argumentaire de Mehal

Très large, le camp des frondeurs va jusqu’aux avocats. Dans un entretien accordé aujourd’hui à El Watan, l’avocat Youcef Dilem a soutenu que l’avant projet de loi « fait un pas en arrière » et « va poser un problème juridique important ».

Son collègue Khaled Bourayou fait le même constat : « Le nouveau code comporte plus de restrictions que de libertés ». « Je considère qu’il y a plus de régression par rapport à l’ancien code et même à la première mouture élaborée par le ministre de la Communication », a-t-il expliqué.

Point ébranlé par ce feu nourri de critiques, le ministre de la Communication Nacer Mehal, lui, défend mordicus son avant-projet en le qualifiant de « véritable avancée ».

« Ce texte représente une avancée du fait qu’il insiste sur le retour des autorités de régulation et assure une meilleure protection des journalistes et des libertés », soutient-il face aux députés.

Dans son argumentaire, Nacer Mehal a présenté certaines dispositions de la nouvelle loi (la suppression des peines d’emprisonnement, la mise en place des autorités de régulation,…) comme des acquis presque révolutionnaires alors que, sous d’autre cieux autrement plus démocratiques, l’institution des règles éthiques et déontologiques, par exemple, est l’affaire exclusive des professionnels.

Yacine Ouchikh