Algérie. La mésaventure algérienne de Sihem Bensedrine
A la veille de l’arrivée à Alger du président tunisien Moncef Marzouki pour une visite de deux jours dans le cadre de sa tournée maghrébine, la journaliste tunisienne Sihem Bensedrine a vécu, vendredi 10 février à l’aéroport Houari Boumediene, une rocambolesque mésaventure.
Arrivée en Algérie pour prendre part à un séminaire organisé par le collectif des associations de victimes « du conflit des années 1990 », la militante tunisienne des droits de l’Homme Sihem Bensedrine a été retenue à la zone internationale de l’aéroport pendant 7 longues heures au motif que son nom figure sur une liste de persona non grata en terre algérienne.
Il a fallu une forte mobilisation de la presse et de la société civile algériennes, mais aussi l’intervention de l’ambassadeur de Tunisie à Alger pour qu’elle soit enfin autorisée à entrer en Algérie. La Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) de Mustapha Bouchachi a vigoureusement dénoncé une interdiction qui « porte atteinte à la liberté de circulation d’une ressortissante tunisienne non soumise à la règle du visa ».
Comment Mme Bensedrine a-t-elle vécu sa rétention ? « J’étais très frustrée. Je pensais que la Tunisie nouvelle méritait un meilleur traitement. Malheureusement, j’ai constaté que les comportements et les séquelles de l’ancien régime étaient toujours présents », a-t-elle déclaré hier dimanche à El Watan.
La partie à l’origine de sa mésaventure ? Elle désigne du doigt « des résidus des nostalgiques » de l’ancien régime de Benali. « Comme en 2009, j’ai demandé les raisons ayant motivé cette décision de refoulement. Personne n’a été capable de me donner une réponse. Avec le temps, j’ai appris par mes amis algériens que j’étais sur une liste noire de défenseurs des droits humains tunisiens interdits d’accès en Algérie, établie à la demande de Ben Ali », a-t-elle expliqué au site TSA.
« Au début, j’ai attribué cela à la bureaucratie [algérienne, NDLR] qui n’a pas réactualisé ses fichiers et qui n’a pas intégré que la Tunisie a changé depuis un an, que le dictateur qui était à l’origine de cette liste avait disparu. Mais sur cette liste, figurait aussi le nom de notre président, Moncef Marzouki, qui a été retiré à l’occasion de sa visite officielle. Le mien est resté. J’ai en conséquence compris que ce n’est pas simplement une question liée à la bureaucratie. Il y avait des résidus des nostalgiques de l’ancien régime », a-t-elle ajouté.
Mobilisation forte de l’ambassade tunisienne
Sihem Bensedrine a été par contre très marquée par l’attitude des fonctionnaires de l’ambassade tunisienne qui n’ont pas hésité à venir à son secours, elle, la pestiférée d’autrefois. « L’ambassade de Tunisie s’est mobilisée pour la première fois pour moi. J’avais auparavant avec elle des relations d’adversité et d’hostilité. Elle s’est comportée cette fois en véritable représentation diplomatique, venant en aide à un citoyen sous le coup d’une mesure arbitraire. Ils se sont déplacés et ont été autorisés à me voir », s’est-elle félicitée.
Elle s’est dite également « très heureuse » d’être autorisée à entrer en Algérie son « deuxième pays ». « Je compte beaucoup d’amis en Algérie et je partage beaucoup de choses avec le peuple algérien que je sens très proche de moi. Dans ma famille, l’engagement politique était lié à l’engagement pour l’Algérie ; des membres de ma famille se sont battus aux côtés du FLN pendant la guerre de Libération algérienne. Et donc, dans ma mémoire depuis ma jeunesse, l’Algérie fait partie de mon patrimoine politique et culturel », a-t-elle confié.
Mais pourquoi a-t-on fait subir un tel « affront » à cette militante des droits de l’Homme deux jours seulement avant l’arrivée à Alger du nouveau président tunisien ? Y a-t-il des parties qui veulent chahuter cette visite ? Très probable. Le lendemain de cette aventure, Sihem Bensedrine a lancé un sacré pavé dans la mare le samedi 11 février au sujet d’un groupe de disparus algériens en Tunisie.
Révélations de Bensedrine sur les Harragas algériens
Selon Sihem Bensedrine, les disparus algériens en Tunisie, du temps du régime de Benali, seraient dans des prisons secrètes américaines. « Je ne pense pas qu’il y a des prisons secrètes en Tunisie. Par contre, je suis encline à penser qu’ils ont été emmenés dans une prison secrète en dehors du territoire : des prisons américaines », a-t-elle révélé samedi 11 février lors d’un séminaire organisé à Alger par une coalition d’associations de victimes des années quatre-vingt-dix en Algérie.
« Nous avons mené des enquêtes dans les prisons tunisiennes. Ce qui est sûr, c’est que ces disparus ne sont plus sur le territoire tunisien », a-t-elle ajouté. Allant dans le détail, Madame Bensedrine a affirmé qu’en 2008, un groupe d’Algériens et de Tunisiens ont échangé des coups de feu avec des marins tunisiens avant d’être portés disparus.
« Un des éléments du dossier qu’on a pu identifier, ce sont les échanges de coups de feu entre les gardes côtières et ce groupe. L’un d’eux était armé », a raconté Mme Bensedrine. Conséquence de cet incident : les autorités tunisiennes ne traitaient plus ces jeunes comme des migrants clandestins mais comme des terroristes. « Ils ont été interrogés par les services tunisiens et puis, selon toute probabilité par des investigateurs américains », a-t-elle confié.
Le dossier des disparus algériens en terre tunisienne est ouvert au lendemain de la révolution du Jasmin qui a mis fin à la dictature de Benali.Selon TSA, la journaliste tunisienne a soutenu qu’ « au lendemain de la révolution, mon association [Conseil des libertés, NDLR] a entrepris des démarches formelles auprès du ministère de l’Intérieur tunisien pour demander des nouvelles de ces personnes et on a commencé à avoir des débuts de réponses et des traces de leur passage au ministère de l’Intérieur». Mieux, une procédure judiciaire contre l’ancien ministre tunisien de l’Intérieur a été engagée.
Yacine Ouchikh