Algérie. L’ambition maghrébine de Moncef Marzouki irrite Alger
Les autorités algériennes supportent de plus en plus mal l’ambition grandissante de la nouvelle Tunisie, née dans les entrailles de la révolution du Jasmin, de jouer un rôle de locomotive dans la relance du Maghreb.
L’appel lancé par le président tunisien Moncef Marzouki, mercredi 8 février au Maroc, première station de son périple maghrébin d’une semaine, pour la tenue d’un sommet maghrébin « cette année » dans le but de « remettre l’Union du Maghreb arabe sur les rails », n’est pas du goût d’Alger qui estime que le leadership maghrébin lui revient de droit.
Pour le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères Amar Belani, l’Algérie a été la première à tenter de recoller les morceaux d’un Maghreb désuni.« La réactivation de l’UMA a été portée par la diplomatie algérienne et ce depuis le mois de mai 2011. Cette question a été, d’ailleurs, au centre des entretiens que le ministre Medelci avait eus avec son homologue marocain en novembre dernier à Rabat en marge du forum de coopération arabo-turque », a-t-il déclaré hier jeudi au site Tout sur l’Algérie (TSA).
« Les deux parties avaient alors convenu de consolider leurs relations, de laisser le problème du Sahara occidental à l’ONU pour un règlement dans le cadre de la légalité internationale et décidé qu’il était urgent de réunir le Conseil des ministres de l’Union du Maghreb arabe pour procéder, entre autres, à l’évaluation de la situation dans la région et dégager les perspectives de la coopération et de l’intégration maghrébines », a-t-il enchaîné.
« Médiation » ? Une vue de l’esprit !
Autre attitude du président tunisien qui semble beaucoup agacer les frileux dirigeants algériens : sa volonté de jouer les « gobetween » entre l’Algérie et le Maroc pour les aider à régler leurs différends.
« La question récurrente de la médiation entre l’Algérie, d’une part, et le Maroc et la Libye, d’autre part, est une pure vue de l’esprit puisque tous les canaux sont ouverts avec ces deux pays frères. Le MAE marocain a séjourné récemment dans notre pays, et des délégations libyennes sont à pied d’œuvre actuellement en Algérie dans le cadre de la coopération sécuritaire et ce en prélude à des visites imminentes de membres du gouvernement libyen en Algérie », assène sèchement M. Belani.
Il a ensuite ajouté : « La question de la réouverture de la frontière avec le Maroc est une question souveraine et elle s’intégrera forcément, et à un moment ou à un autre, dans le prolongement de la dynamique constructive amorcée, depuis quelques mois, avec ce pays voisin pour assainir et bâtir une relation bilatérale apaisée, saine et féconde basée sur la confiance mutuelle et sur un esprit sincère de coopération ».
Pour le régime d’Alger, nul donc n’a le droit, y compris les voisins les plus proches comme les Tunisiens, de fourrer son nez dans ses bisbilles avec le royaume chérifien.
Les journaux algériens raillent Marzouki
Mais le courroux d’Alger se décline mieux dans les commentaires ironiques et féroces réservés par certains grands journaux francophones algérois, El Watan et Liberté, à la sortie de Moncef Marzouki, en ne se privant pas de se gausser des « visées » maghrébines de la « petite » Tunisie.
Dans son édito du jeudi 10 février au titre « le contraste tunisien », El Watan écrit méchamment : « Le «costume» de leader maghrébin que Moncef Marzouki veut à tout prix enfiler peut paraître un peu trop grand pour lui ».
« En se posant, par contre, comme le porte-flambeau de l’unité maghrébine et de la démocratie, Moncef Marzouki aspire certainement à donner une visibilité et un rôle diplomatique à la Tunisie, cela à défaut de pouvoir peser économiquement, financièrement ou militairement au plan régional ou continental », analyse l’éditorialiste d’El Watan qui va jusqu’à prêter à la Tunisie la volonté de jouer au « Qatar du Maghreb ».
« Le chef de l’Etat tunisien qui pense secrètement, sans doute, qu’une intégration maghrébine accélérée aidera son pays à surmonter la crise, apparaît s’inspirer grandement, pour ce qui est de sa politique étrangère, de l’exemple du Qatar, un petit pays qui est devenu en l’espace de quelques années un acteur incontournable dans le jeu politique arabe et moyen-oriental. Sauf que contrairement au Qatar, la Tunisie n’a pas encore les moyens de sa politique », subodore l’honorable éditorialiste qui, s’il juge louable l’initiative du président tunisien, n’estime pas moins que les conditions de la relance de l’UMA ne sont pas réunies.
« Il serait trompeur de faire croire à l’opinion maghrébine que l’intégration régionale est à portée de main alors qu’un de ses membres, la Libye, plongé dans une guerre civile qui ne dit pas son nom, n’a encore même pas d’Etat. Et, à un degré moindre, le constat peut même être élargi à la Tunisie qui entame une période de transition avec pour toile de fond une crise économique et sociale des plus dures », explique l’analyste d’El Watan qui, du même coup, dénonce « la déconcertante passivité » des dirigeants algériens face à « l’activisme de Moncef Marzouki ».
« Pays promu pourtant grâce à ses nombreux atouts à jouer un rôle moteur dans la région et même bien au delà, l’Algérie est devenue, à la longue, craintive, pantouflarde et, pis encore, suiviste », déplore El Watan.
Dans un article intitulé « La maladroite initiative du président tunisien », le journal Liberté ne s’explique pas le choix du président tunisien de visiter en dernier l’Algérie. « L’on perçoit une sorte de maladresse dans cette tournée, qu’il entame par Rabat avant de rentrer par Nouakchott et Alger, alors qu’il aurait été plus correct, de commencer par Alger, ne serait-ce que par gratitude au soutien en tous genres apportées par l’Algérie à la Tunisie en cette période difficile qu’elle traverse », relève l’auteur de l’article.
Un reproche injustifié puisque c’est là le vœu de la partie algérienne. En effet, le porte-parole du ministère algérien des affaires étrangères Amar Belani a assuré à TSA que « la reprogrammation de la visite du président tunisien en Algérie – pour qu’elle puisse se tenir à la fin de sa tournée maghrébine – a été prise à la demande de la partie algérienne pour des raisons d’agenda ».
Des idées pourtant bénéfiques pour l’UMA
Après avoir raillé férocement le président tunisien qui s’est chargé de réanimer l’Union maghrébine « sans qu’il soit sollicité par aucune des parties concernées » et se cherche « une occupation pour combler le vide de sa fonction, dont la majorité des prérogatives ont été concentrées par le Parlement entre les mains du chef du gouvernement islamiste », le journaliste de Liberté juge que « cette tournée qui « vise à réanimer l’Union du Maghreb arabe à travers la tenue d’un sommet que la Tunisie se propose d’accueillir » (…) a peu de chances d’aboutir à des résultats concrets ». Pourquoi ? « En invitant les Maghrébins « à rêver » d’un espace ouvert, sur le modèle de l’Union européenne, Moncef Marzouki donne l’impression de mettre la charrue avant les bœufs », explique-t-il.
Il faut dire que ce procès fait au président tunisien n’est en rien justifié. Maghrébin convaincu de très longue date, Moncef Marzouki n’a pas attendu d’être chef d’Etat pour défendre la nécessité de construire un espace qui ne sera pas bénéfique aux seuls Tunisiens mais à tous les peuples maghrébins.
L’honnêteté recommande de le reconnaître, c’est la première fois depuis la naissance en 1989 de cette coquille vide qu’est l’UMA, qu’un dirigeant maghrébin met sur la table des idées concrètes et surtout neuves : un Maghreb des libertés où ses ressortissants auront le droit de circuler, résider, investir ou devenir propriétaire. Réussira-t-il à vendre son projet maghrébin aux dirigeants algériens qui le recevront la semaine prochaine ? La partie est loin d’être gagnée mais le rêve est permis.
Yacine Ouchikh