Algérie – Bouteflika déroule le tapis rouge à Ghannouchi

 Algérie – Bouteflika déroule le tapis rouge à Ghannouchi

Lors de sa visite en Algérie

Au lendemain de la victoire retentissante de son parti Ennahdha aux premières élections libres en Tunisie tenues le 23 octobre dernier, le leader islamiste Rached Ghannouchi est arrivé samedi à Alger pour une visite d’ « amitié » de trois jours.

Invité par son grand ami Bouteflika, le chef islamiste a eu droit à un accueil faste et digne d’un chef d’Etat, lui qui n’est que président d’honneur d’Ennahdha. Jugez-en : à son arrivée à l’aéroport d’Alger, il a été accueilli par le président du conseil de la Nation Abdelkader Bensalah qui, conformément d’une règle protocolaire bien établie et en cas d’indisponibilité du président Bouteflika, reçoit les chefs de l’Etat étrangers.

Le lendemain, c’est le président de l’Assemblée nationale Abdelaziz Ziari qui l’accueille dans son antre parlementaire avant une visite au Mouvement pour la Société de la Paix (MSP) d’Aboudjerra Soltani et au Front de Libération Nationale (FLN) de l’islamo conservateur Abdelaziz Belkhadem.

Et le clou de ce très spécial périple algérois de l’islamiste BCBG est certainement son entretien aujourd’hui avec le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, mais surtout, sa rencontre avec le président Abdelaziz Bouteflika.

Tous ces honneurs pour un homme n’exerçant aucune fonction officielle, leader d’un parti islamiste de surcroit, de la part d’un Etat prêchant à cor et à cri un anti-terrorisme érigé en doctrine officielle, ne peuvent que susciter des interrogations.

Pourquoi, en effet, un tel accueil à un Rached Ghanouchi – président d’honneur d’Ennahdha et vice-président de la Ligue mondiale des Ulémas musulmans – et pas, par exemple, à un Moncef Marzouki – leader d’un parti de gauche, président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et vieil opposant du dictateur Ben Ali – qui vient d’ailleurs d’être désigné président tunisien par intérim ?

A n’en point douter, c’est délibérément, que le président Bouteflika a décidé de recevoir avec autant de faste ce dirigeant islamiste. Une façon de donner un coup de pouce aux partis islamistes algériens.

Mettre à profit la révolution du Jasmin

Il faut dire que le chef de l’Etat n’a jamais fait mystère de sa sympathie, réelle ou calculée, pour le courant islamiste.

Et depuis sa maladie fin 2005, cette affinité islamiste s’est transformée en option politique lourde avec une avalanche de concessions faite à ce courant qui a pourtant précipité le pays dans une violence inouïe.

Depuis cette date, plus de 2 000 débits de boisson et bars ont été fermés par les autorités algériennes. Un grand nombre d’islamistes, emprisonnés pour avoir versé dans le terrorisme, ont  été élargis au lendemain de l’adoption, fin septembre 2005, de la charte pour la paix et la réconciliation nationale.

Autre fleur offerte aux islamistes : le lancement en grande pompe en octobre dernier du projet de la grande mosquée d’Alger qui  engloutira la somme faramineuse de 1,2 milliards d’euros.

Toutes ces largesses ne sont rien que des préliminaires à la consommation du mariage incestueux entre Bouteflika et les islamistes qui se traduira certainement par l’avènement d’un grand parti islamiste, à l’image de l’AKP turc, dévorant tout sur son passage. Bouteflika réussira-t-il dans son projet ? Difficile de répondre, mais il travaille dur pour y arriver.

Il faut dire aussi que le triomphal accueil réservé au leader islamiste tunisien n’est pas dénué de calcul. Incapable de mener de vraies réformes démocratiques, le régime de Bouteflika, se sachant observé, recourt à la ruse pour « tromper » les grandes puissances qui semblent décidées à ne plus tolérer les régimes dictatoriaux.

En recevant avec tambour et trompettes le dirigeant du parti victorieux des premières élections libres organisées en Tunisie, le pouvoir algérien espère ainsi tirer profit de la grande aura de la « révolution du jasmin », faute de pouvoir s’inscrire dans le cours de l’histoire.

La revanche de Ghannouchi

Vieux briscard de la politique, Rached Ghannouchi est lui aussi venu en Algérie avec ses propres calculs. Sa présente visite a tout d’une revanche sur le sort.

Chassé en 1991 d’Algérie comme un malfrat après un exil de 2 ans, il foule aujourd’hui la terre algérienne dans la peau d’un personnage important à qui l’on s’empresse de dérouler le tapis rouge.

Il n’est pas exclu aussi que son séjour algérois soit dicté par un certain caporalisme idéologique : apporter l’onction de la révolution tunisienne à ses « frères » du MSP et autres partis islamistes.

Après le tête-à-tête qu’il a eu avec son alter ego du MSP,  M. Ghannouchi a prôné un Islam conciliant, modernité et démocratie. « La Tunisie veut édifier un modèle de société dans lequel l’islam n’est pas synonyme de terrorisme, de fanatisme, d’extrémisme ni d’hostilité à la démocratie », a-t-il déclaré.

Autre calcul que devrait faire le très pragmatique Ghannouchi : arracher au régime algérien, faible mais qui peut bien se montrer magnanime, une aide matérielle conséquente pour permettre à son parti, après l’euphorie de la victoire électorale, de mieux négocier l’étape très difficile de la gestion des affaires d’une Tunisie aux prises avec des difficultés de toutes sortes.

« Je suis venu pour effectuer des concertations pour l’intérêt de nos deux pays et de la région. Ma visite intervient dans un contexte marqué par des changements très importants en Tunisie », a-t-il d’ailleurs déclaré samedi à son arrivée à Alger.

Au sortir de son entretien avec le secrétaire général du FLN, Rached Ghannouchi est revenu à la charge en soutenant que sa visite intervient à une « étape cruciale » que traverse la Tunisie, cette dernière ayant besoin de « se concerter avec l’Algérie qui jouit d’une riche expérience ». Obtiendra-t-il ce qu’il veut ? Gageons que la visite de M. Ghannouchi sera couronnée de succès.

Yacine Ouchikh