Médine : « J’ai envie d’être dans une démarche d’éducation populaire »
Le rappeur Médine suscite l'ire de l'extrême droite qui tente de l'empêcher de se produire au Bataclan. Deux mois avant les attentats du 13 novembre 2015, il nous avait accordé une interview dans le cadre de sa tournée « Démineur Tour». Sa volonté de dialoguer, de faire évoluer les mentalités à propos de l’Islam, du fait religieux ou encore de l’immigration est au centre de son discours.
Avec votre tournée “Démineur tour”, quel message souhaitez-vous faire passer ?
J’ai sorti l’EP Démineur un peu dans la précipitation pour répondre au contexte de l’après-Charlie. J’ai trouvé qu’il y avait un marasme d’information, un essentialisme latent de la part des éditorialistes dans les médias mainstream. J’avais envie de répondre à ma façon. J’ai pour habitude de décortiquer des grands sujets d’actualité : la place du musulman en France, du fait religieux, du banlieusard, des quartiers populaires, de la personne issue de l’immigration. Pour moi, ce sont des épouvantails. Mon but est de recentrer le débat sur les véritables problèmes, qui sont socio-économiques.
Est-ce la suite de la réflexion que vous aviez entamée en 2012 dans le livre Don’t Panik : n’ayez pas peur ! avec l’enseignant-chercheur Pascal Boniface ?
Le bouquin est venu cristalliser tous les sujets que je traitais dans mes albums. Je ne m’adresse pas exclusivement aux auditeurs du rap français. Je suis dans une démarche de débat. C’est symbolique de chercher quelqu’un comme Pascal Boniface qui n’a pas les mêmes origines, ne partage pas mes idées sur le plan spirituel et est issu d’une autre classe sociale. C’est une volonté de dialoguer et de ne pas être dans l’entre-soi.
Sur un titre précédent, MC Soraal, vous évoquiez les ambi-
guïtés du discours d’Alain Soral. Aux derniers Y’a bon Awards, cérémonie dont vous avez été juré, il a été jugé champion hors catégorie avec Dieudonné et Jean-Marie Le Pen…
Je souhaite participer à l’assainissement de ces débats nauséeux et nauséabonds. C’est pourquoi je participe aux Y’a bon Awards. Il y a des populistes qui sont mis au ban, marginalisés des plateaux
télévisés. Ce qui leur donne une posture victimaire confortable sur laquelle ils surfent. Cette pseudo-dissidence a émergé sur Internet via Alain Soral mais aussi des populistes sournois qui, dans les quartiers, agissent sous couvert de l’islam. Sous prétexte d’appartenir au rang social de ceux qui sont les plus discriminés en France – les gens des quartiers populaires –, certains se permettent de s’approprier ces frustrations et de créer des ramifications antisémites. L’ennemi commun partagé par la pseudo-dissidence et l’extrémisme religieux, c’est le juif, rendu responsable de tous nos maux. On doit dénoncer ces populistes au même titre que les pompiers pyromanes qui sévissent sur les plateaux télévisés.
D’ailleurs, vos positions ne sont pas forcément prisées par ces habitués des émissions de télévision…
J’ai été moi-même ciblé par certains de ces pompiers pyromanes : Alain Finkielkraut, Frédéric Haziza… Ils prétendent lutter contre le radicalisme en me stigmatisant parce que je fais une critique acerbe de la laïcité dévoyée dans le texte de Don’t Laïk. Aujourd’hui, c’est parce que certains se sentent menacés ou veulent faire en sorte que les Français se sentent menacés par l’islam qu’on distord cette laïcité complètement pour en faire un objet d’exclusion. Ce sont ces personnes qui mettent des adjectifs derrière le mot laïcité pour lui donner un autre sens, un autre but. Ils me confortent dans l’idée que ma place est aux Y’a bon Awards. J’ai soumis aux Indivisibles l’idée, qui est encore à l’étude, de soumettre au CSA un vrai rapport, comme Amnesty International l’a fait sur le plan des droits humains, sur la façon dont les minorités sont stigmatisées dans les médias. Si on arrive à faire ça, on aura fait un grand pas en avant.
Sur le terrain, au Havre, vous avez aussi créé l’association Don’t Panik Team, qui lutte contre les discriminations et organise des tournois de boxe…
Mon récent morceau Speaker corner commence par “Ici République et Nation ne sont que des stations de métro. Encore une phrase qui devrait remplir la bouche de Finkielkraut !” Je renvoie cette phrase au visage de ceux qui pensent que nous sommes des “territoires perdus de la République”. En réalité, on est des territoires retrouvés depuis bien longtemps ! On s’est retrouvés avec nous-mêmes. Dans les quartiers, la plupart d’entre nous connaissent leur rôle et leur place dans cette société. C’est pour ça que je n’attends la solution ni des partis politiques ni de certaines associations qui sont des usines à gaz, des fumisteries qui ne servent qu’à s’autofinancer, sans mettre en place des actions concrètes. Je n’attends plus de solutions. Je me prends en charge. J’arrive à vivre de la musique en indépendant avec mon label Din Records, qui a produit plusieurs artistes. Ça me permet de conserver ce qui nous est le plus cher dans ce métier et dans la vie : l’indépendance intellectuelle. L’autodétermination, le concept de Malcolm X, c’est être conscients de notre capacité d’action au quotidien pour améliorer nous-mêmes nos conditions de vie.
Quels sont vos envies pour l'avenir?
Quand je pars en tournée, je ne le fais pas pour vendre un disque mais pour amener un discours. Que je ne suis d’ailleurs pas seul à propager. En même temps que ma tournée, je développe un nouveau concept : faire mes concerts dans un quarante tonnes où on emmène des gens ! Et instaurer un dialogue à l’intérieur de cette remorque devenue une sorte de place publique pour contribuer à désamorcer ces sujets explosifs. Le but, c’est d’amener de la paix sociale. Pas au sens conventionnel ou institutionnel du terme, celui des médiateurs, des acteurs sociaux et des politiques qui se graissent la patte ensemble. J’ai envie d’être dans une démarche d’éducation populaire, voire d’“edutainment”, autrement dit utiliser le divertissement, la musique pour faire de l’éducation populaire. De l’éducation accessible à tous !