La possibilité d’une île

 La possibilité d’une île


Le duo Insula, formé par Redha Benabdallah (à l’oud) et Maher Beauroy (au piano) rend hommage au penseur et écrivain Frantz Fanon, figure emblématique du tiers-mondisme.


Pour l’oudiste Redha Benabdallah et le pianiste Maher Beauroy, les pensées de Frantz Fanon demeurent d’actualité. L’écrivain antillais, disparu en 1961, a lutté ardemment pour l’indépendance de l’Algérie. Mais, selon Redha : “La colonisation existe ­toujours. Et aujourd’hui en France, le racisme continue de monter. Nous ne sommes pas sortis de toutes ces injustices. De par nos origines, Maher martiniquais, et moi franco-algérien, cet hommage est évident. Il fait partie de notre éducation.”


 


Injustice, colère et égalité des peuples


Leur projet commun est judicieusement intitulé Insula (île en latin). La Martinique, c’est “l’île aux fleurs”, et l’Algérie, en arabe, c’est “El Djazair”, à savoir… l’île. Entre leurs deux terres, un héritage commun : l’Afrique. Avec des harmonies issues d’une même famille. “Seuls les accents changent, mais les rythmes caribéens et maghrébins sont similaires. Celui de la biguine antillaise est quasi semblable au goubbahi (mode rythmique binaire très usité dans le chaâbi algérois, ndlr). On les assemble et ça fonctionne parfaitement. Et même jusqu’en Amérique latine, avec notre percussionniste brésilien (Antonio Tenorio, ndlr), on retrouve cette même rythmique, aux racines africaines, qui nous relie.”


Pour composer, les deux artistes s’inspirent de leurs émotions à la lecture des œuvres de Fanon. “L’injustice, la colère, et aussi des idées plus positives comme l’égalité entre les peuples. Chaque morceau évoque la musique algérienne et antillaise, sans que l’une domine l’autre.” Redha déplore que cette égalité, pour laquelle s’est battu l’auteur de Peau noire, masques blancs, ne soit toujours pas incarnée aujourd’hui. “La Martinique est française, mais elle est sous-représentée en métropole. Le groupe de zouk Kassav l’illustre bien. Ils ont vendu des millions de disques et de places de concerts, pourtant, en trente ans, on les a très peu vus dans les médias.”


 


“Montrer la beauté de la culture algérienne”


Les deux amis, qui se sont rencontrés à la Sorbonne, en section musicologie, entrent en studio en février pour enregistrer leur disque, dont la sortie est prévue à l’automne. D’ici là, ils feront découvrir leur musique raffinée et engagée lors de tournées mondiales : Amérique latine, Russie et Emirats arabes unis et ­livreront quelques dates dans l’Hexagone.


Avec cet album, le duo souhaite attiser la curiosité du public pour les écrits du penseur antillais. “On aimerait transmettre l’idée qu’il faut être fier de ses identités, parce qu’on en a plusieurs. Valoriser mes racines algériennes est non seulement enrichissant, mais cela ne peut que faire du bien dans le contexte actuel. Car le vide identitaire crée des malaises. Beaucoup de Franco-Maghrébins brandissent le drapeau de leur pays lors de mariages ou de matchs de foot… C’est simplement leur seul outil pour communiquer la fierté de leurs origines. Moi, c’est avec la musique que je veux montrer la beauté de ma culture algérienne”, conclut Redha Benabdallah. 


MAGAZINE FEVRIER 2018