Imed Alibi : « Ma musique est celle d’un globe-trotteur »
Il défend une musique voyageuse, métissée. Pour son nouveau projet ,“Frigya”, le percussionniste franco-tunisien s’est entouré de son compatriote Khalil Hentati, compositeur, du français Michel Marre, trompettiste de jazz, et de la chanteuse burkinabè Kandy Guira.
D’où vient votre désir de mêler votre univers, très imprégné par les musiques traditionnelles tunisiennes, à d’autres sonorités ?
Safar et Salhi, mes premiers albums (sortis en 2014 et en janvier 2018, ndlr), sont le fruit de nombreuses rencontres. Avec le groupe de rock oriental les Boukakes, d’abord, lorsque je suis arrivé en France en 2001 pour poursuivre des études de traduction. Je les ai rejoints, et j’ai entamé avec eux des tournées mondiales. Mes voyages m’ont mené à d’autres collaborations, du Maroc jusqu’en Inde. Rachid Taha, Emel Mathlouthi, Moneim Adwan, Ghalia Benali, Slow Joe, Michel Marre… Accompagner ces artistes m’a nourri, et m’a donné envie de créer une synthèse de toutes mes influences. Ma musique est celle d’un globe-trotteur.
C’est là que vous commencez à développer une recherche sur les rythmes du Maghreb et du Moyen-Orient ?
Dans Safar, j’ai travaillé sur un horizon culturel très large. Né d’une collaboration avec le compositeur et arrangeur Stéphane Puech et avec le violoniste Zied Zouari, ce projet mêle artistes tunisiens, français, brésiliens et irakiens. Ensuite, en effet, j’ai entamé une recherche sur les rythmes. Ayant constaté la récurrence de certains d’entre eux du Moyen-Orient jusqu’en Inde, j’ai compris à quel point l’universalité de la musique doit aux peuples du voyage. Et j’ai décidé de revenir à un patrimoine musical bédouin qu’on appelle le salhi, et d’y apporter un langage nouveau.
Le salhi est-il encore vivant en Tunisie ?
Né dans le sud de la Tunisie parmi des personnes marginalisées qui exprimaient leurs souffrances à travers lui, le salhi tombe hélas dans l’oubli aujourd’hui. En partie à cause du pouvoir politique, qui depuis Habib Bourguiba l’a marginalisé au profit de la musique arabo-andalouse et ottomane. Sans parler de la variété, qui est un véritable fléau pour la scène musicale actuelle. Les voix féminines du genre, surtout, sont en voie de disparition.
Dans votre nouveau projet, “Frigya”, vous vous rapprochez également de l’Afrique noire, en collaborant avec la chanteuse burkinabè Kandy Guira. Pourquoi ?
Il faut se souvenir d’où l’on vient. Cela ne peut que nourrir la musique tunisienne, qui peine aujourd’hui à se développer. Il faut aussi être solidaire. L’ensemble du continent africain connaît les mêmes difficultés que la Tunisie en matière de développement artistique. Pourquoi rester chacun dans son coin ?
Vous avez monté ce projet en France, avec le +SILO+, centre de création coopératif dédié aux musiques du monde et traditionnelles en Occitanie. Aurait-il été possible, selon vous, de le faire en Tunisie ?
C’est très compliqué ! Si la révolution a libéré la parole, la très forte centralisation de la culture a tendance à restreindre la créativité des artistes. Regardez la nouvelle Cité de la culture à Tunis, imaginée par Ben Ali, abandonnée avec la révolution et finalement inaugurée en mars dernier… Des sommes colossales sont dépensées au profit d’un nombre restreint d’artistes, laissant les autres dans le dénuement. Mais je ne perds pas espoir : en matière artistique, la société civile est d’un grand dynamisme.
Imed Alibi sera en concert le 20 juillet au festival Détours du monde à Chanac (Lozère), le 21 au Festival de Thau (Hérault) et le 22 au festival Résurgence à Lodève (Hérault).