« C’Franc » mélange danse hip-hop et chanson française

 « C’Franc » mélange danse hip-hop et chanson française

Mêler danse hip-hop et chanson française. Tel est le pari de la nouvelle création de la Compagnie No Mad. Une ode à la France d’aujourd’hui.


Mêler danse hip-hop et chanson française. Tel est le pari de la nouvelle création de la Compagnie No Mad. Une ode à la France d’aujourd’hui.


Avec le spectacle « C’Franc », la Compagnie No Mad, en coproduction avec la Juste Debout School, mêle habilement danse hip-hop et chanson française. Du locking sur Brassens, du popping sur Piaf, l’idée est osée, mais fonctionne parfaitement créant une véritable réflexion sur l’identité plurielle de la France d’aujourd’hui.


Mehdi Slimani, auteur du spectacle, nous en dévoile un peu plus sur « C’Franc ».


 


Comment est née l’idée ?


Le point de départ de cette chorégraphie est un peu différent des autres spectacles No MaD. Tout commence lorsque Bruce Ykanji, directeur de la Juste Debout School me commande une création pour les danseurs en dernières années de son école. Le spectacle en question venait ponctuer trois ans de formation, et les ouvrir sur une expérience chorégraphique professionnelle, bienvenue dans le monde de la danse. C’était nouveau comme proposition, et comme tout ce qui est nouveau est excitant, je me suis laissé tenter par l’aventure ; mais avec dès le départ, un prérequis essentiel: celui de créer un spectacle avec une exigence habituelle, comme je l’aurais fait pour la cie No MaD, et ce quoiqu’il en coûte, le temps et la sueur versée par ces jeunes interprètes. Connaissant l’excellent niveau de la formation, et la passion palpable chez le directeur, les profs comme chez les élèves, c'était un challenge qui valait le coup d'être tenté. 


Je me suis retrouvé face à ces jeunes danseurs âgés de 20 à 26 ans, d’horizons tout à fait différents, couleurs, religions, pour certains de nationalités et de langues différentes. Je les ai trouvé beaux. Beaux d’être si solidement réunis autour de cet amour pour la danse, pour le hip-hop. Qu’y a t-il de plus solide et de plus tangible que de s’unir par amour de l’art ? Partager la même identité, c’était pour eux si facile au nom du hip-hop. Je me demandais pourquoi à grande échelle, on n’aurait pas pu s’unir ainsi… dans nos différences, et me mettais à mon tour à penser à ce qui faisait le corps de la France. Je n’ai jamais été un grand fan des drapeaux, mais nous trouver réunis sous une bannière nous recouvrant de ses danses, de ses musiques, et de ses mots justes, des grands artistes et grands écrivains français, là oui ça faisait sens.


 


Pouvez-vous revenir sur la notion de créer des ponts (entre danse hip-hop et musique française) ?


Pour ceux qui ont décidé de rester de leur côté de la berge, le rap et le hip-hop sont cantonnés à un mouvement communautaire, pour d’autres les monuments de la chanson française ne se mélangent ni ne se retouchent pas, pris dans leur tour de cristal. Mais la culture c’est perméable. La culture, ça fait des ponts… des ponts insensés. Ça fait des liens inattendus. Ça détruit les murs en pierre, à pieds et mains dansants. On respire, on s’inspire, rien ne se perd, tout se transforme.


Naviguer entre deux feux, c’est être exposé, donc poussé à la créativité. Le Hip Hop a ses codes bien sûr, le patrimoine français les siens. Ils parfois se rejettent, parfois s’ignorent. Entre eux faire du lien, se faire leur pont, c’est musicalement risqué, symboliquement aussi peut-être… sortir des zones de confort et accepter sans concession cette gageure pleine de promesses.


 


Sur quels critères s’est fait le choix des chansons françaises ?


Il nous fallait de tout. Multicolores, multi-sonores, du jazz à la variet », du rock au rap, les rythmiques et les univers diffèrent, liés tous autant qu’ils sont par cette langue… le français. Il nous fallait de tout, aussi bien sur les styles musicaux que sur les thèmes abordés.


L’amour, la solitude, la magnificence parisienne, la foule sur le pavé, la joie de vivre ou la morosité ambiante, le gris des banlieues, le cri des artistes… thèmes universels intemporels chantés par les grands auteurs français et qui parlent d’aujourd’hui au moins autant que d’hier, de l’humain à pleine couture, de notre société en mouvement, de notre ciel bleu blanc rouge et au-delà.


Des morceaux d’Aznavour, de Kery James, de Piaf… se sont dégagés les tableaux nourris par des chorégraphies d’ensemble. Les solos eux, ont été choisis avec et en fonction de leur interprète et ont permis de faire entendre du Brel, Péret, Dutron, Auffray…


 


Kery James et Oxmo Puccino sont également dans la sélection, était-ce important de mettre des rappeurs dans cette sélection de chansons françaises ?


Oui il était impossible de faire l’impasse sur le Rap, et donc le rap français en l’occurrence. Tout d’abord bien sûr, il constitue une composante majeure de la culture hip-hop et donc se rapproche le plus des rythmiques habituelles sur lesquelles les danseurs s’expriment. Mais au-delà des idées reçues, il est plutôt inhabituel que les hip-hopeurs dansent sur du rap français, c’est plutôt sur des beats sans paroles, ou bien du rap US. Bien que plus connecté avec notre gestuelle, il n’en demeurait pas moins original de chorégraphier sur les auteurs rap français.


Mais aussi, parce qu’il était notre propos dans « C’Franc » de mettre en danse la France plurielle, tous autant que nous sommes rap ou rock'n roll. D’ailleurs dans le spectacle, le premier morceau de Rap est « Musique nègre » de Kery James. Le morceau commence avec une longue introduction slamée, qui pose le contexte dans lequel l’auteur a écrit ce rap, (en réponse à Henry De Lesquen [Président de Radio Courtoisie, NDLR] qui s’était permis lors d’une interview de fustiger le rap en tant que genre musical, et prônant son interdiction sur les radios françaises.) Au-delà de tous les stéréotypes, nous avons porté la danse sur tous les styles musicaux auxquels nos disciplines hip-hop (popping/locking/b.boying/house…) nous permettaient de nous exprimer.


 


Pour la chorégraphie comment travaillez-vous les liens entre les mots et les mouvements de danse ?


Ça n’a pas été une mince affaire et c’était d’ailleurs l’enjeu chorégraphique du spectacle. Faire danser les mots… puisqu’ils sont une musique, c’est le leitmotiv qui nous a tenu durant la recherche des gestuelles. Sortant des mesures et comptes rythmiques, nous avons souhaité chorégraphier le plus près possible de la voix de l’auteur, de ces mots chantés afin que leurs textes nous collent à la peau. Les incarner.


À partir de ces univers, nous avons créé un champ chorégraphique et musical des plus étendus possible. Nous avons joué, de ces sons, de ces mots et de ces couleurs, nous les avons percutés, distendus, entrechoqués, nous les avons pétris, qu’il s’agisse de monuments de la chanson française ou de textes plus légers et modestes. Nous les avons chamboulés jusqu’à la fine limite en filigrane de l’acceptable, nous efforçant en définitive de les transformer sans les dénaturer. Et ce afin d’en tirer une matière neuve, un ensemble signifiant et dynamique : « C’franc ».


 


Aujourd’hui la danse hip-hop est partout (pubs, avec la danse contemporaine…), est-ce qu’elle reste malgré tout quelque chose de très marqué « urbain » ou « quartiers populaires » ?


Elle est partout et pour tous. Et c’est en soi sa vocation, culture à dimension universelle. Le hip-hop que l’on voit dans les pubs, les émissions télé, n’est que la face émergée d’un iceberg gigantesque dont le cœur est chaud et passionné. Ceci étant dit, il manque un peu en 2018 de cet ancrage populaire, de cette conscience politique, de cet esprit contre culture, du hip-hop qui vient de la banlieue, de la périphérie, qui replace aux centres les mis à l’écart, qui provoque la fascination de ceux payent pas de mine, qui refuse l’exclusion et tort le cou aux idées reçues. Il manque un peu de cette conscience-là en 2018, mais certains continuent de porter cette voix urbaine. C’est la voie que j’ai choisie et fait danser dans la Cie No MaD.


 


Qu’aimeriez-vous que le public retire de cette création ?


Que nous sommes franc.ement hip-hop.


Dans la vie comme sur scène, le temps d’une danse et d’une chanson pour faire hommage et donner à voir autrement cet héritage formidable.


À l’heure où ils passent leur temps à se questionner sur l’identité nationale, à qui donner la nationalité, à qui la retirer… C’est nous la France ! D’identité Piaf et Brel, Kery et Oxmo… d’identité Hip Hop, sans distinguo d’où nous venons, le temps d’une chanson, d’une danse, libre, égale, et fraternelle.


Les 2 prochaines dates C'franc sont le 13 octobre au festival Kalypso de Bron et le 9 novembre au CCN de Créteil.


Charly Célinain