Vers un chaos parlementaire permanent
La guerre des motions parlementaires a été stérile en Tunisie s’agissant de la réclamation d’excuses pour le passé colonial de la France ou, plus récemment, de la classification des Frères musulmans tunisiens en « organisation terroriste ». Les motions de censure, s’agissant du retrait de confiance, sont en revanche une arme autrement plus efficace.
Au lendemain de la démission du gouvernement, des députés perturbent la séance plénière au cris de « Non au terrorisme à l’Assemblée »
L’Assemblée des représentants du peuple a donné à voir un spectacle de désolation d’une ampleur inédite tout au long des péripéties de la journée de jeudi. La séance plénière se tenait dans une enceinte annexe du Bardo précisément pour échapper au chaos initialement provoqué par un sit-in du Parti destourien libre (PDL), dont les députés occupaient le perchoir. En vain.
Deux motions ont coup sur coup suffi à ébranler l’institution, secouée par un désordre chronique qui a donc atteint son paroxysme le 16 juillet. La première concerne un retrait de la confiance au gouvernement Fakhfakh. La démission de ce dernier dans la même journée d’avant-hier, assortie du limogeage tonitruant des six ministres d’Ennahdha, intervenait en représailles à cette motion. La seconde est une motion de censure qui vise le président du Parlement Rached Ghannouchi.
Un humiliant retrait de la confiance en guise de fin de carrière
73 députés ont ainsi déposé auprès du bureau d’ordre de l’ARP une motion de retrait de confiance à Ghannouchi. Plus tôt dans la matinée, le président du bloc démocratique, Hichem Ajbouni, pourtant allié d’Ennahdha au sein du gouvernement démissionnaire, avait détaillé les motivations du texte.
En cause, « le rendement médiocre du président de l’ARP et sa mauvaise gestion du Parlement qui engendrent un climat tendu dans l’hémicycle. Rached Ghannouchi agit en tant que chef de son parti Ennahdha, et non en tant que président de l’ARP », a-t-il regretté.
Le chaos règne également au bureau du chef de cabinet de Rached Ghannouchi, par ailleurs occupé par des membres du PDL. Ces derniers protestent contre ce qu’ils qualifient de laxisme sécuritaire, après que des assistants parlementaires, fichés « S17 » (équivalent de la fiche S en France) pour soupçons d’activités terroristes, aient pu librement accéder au Parlement.
Dans le bureau du chef de cabinet du président du Parlement, une élue pro ancien régime et un élu radical-islamiste se haranguent et se filment mutuellement
L’échéance clé du 25 août
S’il se murmure dans les arcanes de Carthage que le président de la République Kais Saïed opterait pour un gouvernement restreint formé de compétences indépendantes, l’incertitude règne en cette tumultueuse phase de pré vacances parlementaires.
Le délai imparti à Carthage par la Constitution est de 10 jours de concertations, plus 1 mois pour le choix d’une personnalité chargée de former un nouveau gouvernement (qui obtiendrait la confiance à temps). Mais si cette ultime procédure venait à échouer, le président Saïed pourrait alors dissoudre l’Assemblée.
Le scénario des élections anticipées qui s’en suivrait, assorties d’une potentielle réforme du code électoral, a d’ailleurs sans doute la préférence du président Kais Saïed. Il n’avait cessé d’exprimer son scepticisme à l’égard de l’actuel régime politique en marge de sa campagne électorale dès 2019. Pour autant, renoncer à la représentativité parlementaire, pour plus de décentralisation et d’« inclusion par le bas », est-il une garantie de stabilisation de la jeune démocratie Tunisie ? Rien n’est moins sûr.