Suicides programmés. Pourquoi les arabes ?

 Suicides programmés. Pourquoi les arabes ?

Walid Bouazizi se recueille devant la tombe de son cousin


 


Donner la mort ou se donner la mort. D’où vient ce désir morbide qui frappe comme une épidémie le monde arabe ? Laissons de côté les millions de morts provoquées par les croisades de l’Oncle Sam en Syrie, en Irak ou encore au Yémen, par Daech interposé provoquant au bas mot, plus  de 14 millions d’orphelins, mutilés, abandonnés, traumatisés à vie. Là, on peut supposer que ces personnes tuées ne sont que des victimes collatérales de conflits géostratégiques. Ce qui m’interpelle en premier chef, c’est cette « poussée instinctuelle de violence », cet instinct de mort qui fait désormais la une des journaux de la presse arabophone, de Sanaa à Casablanca en passant par Tunis ou encore le Caire. 


 


Un marchand ambulant qui s’immole par le feu par-ci, un brave paysan qui passe par le fil de l'épée son épouse et une dizaine de parents, par-là. (Bouazzizzi peut reposer en paix, il a fait bien des émules dans tous le monde arabe, on s’immole pour un oui et pour un non. Il y a même un jeune supporter de l’équipe marocaine du Wac qui menace de s’immoler si son joueur préféré ne joue pas dans un match décisif).


Contrairement aux samouraïs dont le fameux harakiri est indissociable du Bushido, le code d'honneur du guerrier, qui insiste sur une mort pour ne pas trahir les valeurs morales qui sont celles du samouraï, nos « suicidés » se donnent la mort pour des motifs de bas étage.


Et puis, il y a le reste, tous ces jeunes qui viennent grossir tous les jours les rangs de la nébuleuse terroriste pour servir de chair à canon à des attentats de plus en plus spectaculaires, de plus en plus meurtriers. Malgré la répression, malgré les risques, les Salah Abdeslam, les Merah, les Coulibaly font chaque jour de nouveaux émules. Par je ne sais quelle maladie, il y a une érotisation de la mort, une héroïsation du martyre. 


La mort apparaît, dans ce contexte, comme une réduction à l’échelle arabe de quelque chose de singulier que l’on pourrait appeler un désir de reconnaissance par une mort spectaculaire que ce soit celle qu’on se donne en s’immolant publiquement ou celle qu’on inflige à autrui dans une atmosphère de souffrance extrême, sachant que les djihadistes ( encore une invention arabe)  cherchent à faire le plus de carnage possible par le choix des lieux visés et par l’utilisation de bombes trafiquées avec des clous pour transpercer et déchiqueter les corps . 


D’où vient alors ce désir morbide ? Selon Cioran, « l’homme accepte sa mort, mais non l’heure de sa mort. Mourir n’importe quand sauf quand il faut que l’on meure », qu’est-ce qui fait alors que des individus éprouvent une jouissance à programmer, justement, contre toute attente, l’heure et le lieu de leur mort ? Démence ? Désespoir extrême ? Misère sociale et psychologique ? 


Ce qui apparaît aujourd’hui dans nos contrées, c’est l’ère de la subjectivation absolue, le temps de la suspicion extrême, tout le monde est coupable jusqu’à preuve du contraire. On accuse le policier du coin, on en veut au voisin, on rumine des pensées de vengeance à l’égard du patron, on soupçonne son épouse etc…


En conclusion, aux formes d’oppression qui nous gouvernent, certains parmi les citoyens arabes opposent un dégoût à l’égard de soi-même, un dégoût pour l’autre et finalement le sentiment que tout ce beau monde ne mérite pas de vivre.


On peut toujours reprocher à ces jeunes paumés ou à des individus  plus mûrs qui ne représentent qu’eux-mêmes de distiller une philosophie de la mort, mais cela ne nous absout pas  du débat salutaire qui pourrait transformer une société en deuil en une société en lutte pour des horizons politiques et sociaux plus serein. Cela empêcherait du coup, les vendeurs de paradis de commercialiser leur marchandise avec autant de facilité.


 


Abdellatif El azizi