Mohammed VI : La dette plombe davantage de nombreux pays africains

 Mohammed VI : La dette plombe davantage de nombreux pays africains

Le roi du Maroc Mohammed VI. Palais royal du Maroc / AFP

Dans le document de clôture, les ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales des 54 États africains membres de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international « Caucus Africain » de Marrakech, ont interpellé le Groupe de la Banque mondiale (GPM) et le Fonds monétaire international (FMI) pour un allégement de la dette « rapide », « complet » et « important » afin d’aider l’Afrique à se remettre des répercussions négatives, engendrées par la crise pandémique liée à la Covid-19 et par la crise ukrainienne.

 

A la veille de cette rencontre, c’est le roi Mohammed VI lui-même qui tirait la sonnette d’alarme : « L’endettement élevé et le changement climatique sont des défis majeurs qui mettent en péril la stabilité des économies africaines ainsi que la pérennité de leurs modèles de développement ». Le hasard n’existe pas. Si l’Afrique est aussi bas, c’est qu’il y a bien des raisons objectives. On notera qu’il n’a pas échappé au roi du Maroc de mettre le doigt sur la plaie de l’endettement qui menace chaque jour un pays du continent noir de sombrer dans le chaos.

C’est un bilan clinique qui, tout à trac, nous décrit une « maladie grave », voire même chronique qui empêche l’Afrique de décoller. L’homme de la rue savait le continent noir rongé par le poids de la dette, miné par le déficit, écrasé par la déchéance. Mais le nouveau, c’est que ces vérités qui ajoutent au ressentiment populaire nourrissent de plus en plus la colère des Africains contre les anciennes colonies, la plus sévère de l’histoire.

Dans un rapport sorti en octobre 2021, l’association Oxfam (une ONG d’aide aux victimes de la famine) s’appliquait à expliquer en détail comment les banques occidentales pillaient l’Afrique, dénonçant au passage l’hypocrisie du moratoire sur la dette africaine, qui avait été annoncé en 2020 et dont l’objectif affiché était de soulager ces pays terrassés par la crise du Covid.

On apprend ainsi que cette initiative de suspension du service de la dette adoptée par le G20 en 2020, n’était en réalité qu’un simple report d’échéance sans annulation ni restructuration durable, et de plus, ne concernait qu’une petite partie de ces dettes contractées auprès des banques publiques des pays du G20. Quant au gros morceau, celles des grandes banques privées, délivrées avec des taux d’intérêts de 9,5 % en moyenne, pas touche. Le rapport cite ainsi la BNP Paribas, la Société générale ou encore la Banque populaire/Caisse d’épargne, actives notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Pour oser le vrai diagnostic, il eût fallu dénoncer l’enlisement insidieux des politiques dans cette conception archaïque des rapports Nord/Sud. Ineffable, donc, et totalement inaudible à l’intérieur des pays occidentaux, le diagnostic pourtant assène cette évidence : sur la question de la dette africaine, la France plus que d’autres pays rame à contre-courant.

Pour donner une petite idée de la façon dont ces dettes ruinent les pays africains, Oxfam donne comme exemple la Côte d’Ivoire, où le remboursement de la dette se monte à 133 millions de dollars, alors que le budget annuel de l’ensemble des hôpitaux s’élève à 85 millions ! On comprend pourquoi la majorité des sommes empruntées, ruinent les budgets de ces pays sans jamais profiter aux populations.

Dévoilé il y a plus d’une semaine de cela, le scandale de la dette et notamment le détournement de l’aide au développement versée par la Banque mondiale à des pays pauvres en Afrique a fait l’effet d’une bombe au sein de la vénérable institution bancaire.

Le rapport « Elite Capture of Foreign Aid », publié par des cadres de la banque, explique tout bonnement qu’une partie des financements était dévoyée par les élites des pays assistés et placée dans des comptes offshore en Suisse, au Luxembourg et dans d’autres paradis fiscaux.

L’institution financière chargée de l’aide au développement dans les pays pauvres a bien tenté de censurer une publication, produite en interne par deux économistes scandinaves et un agent de la Banque mondiale, qui remet directement en cause l’efficacité de l’action de la Banque mondiale.

En résumé : les versements d’aide au développement de l’institution financière internationale nourrissent en partie la corruption dans plusieurs pays pauvres. « Ces versements d’aide vers les pays les plus dépendants coïncident avec une augmentation importante de transferts vers des centres financiers offshore connus pour leur opacité fiscale », comme la Suisse, le Luxembourg, les îles Caïmans et Singapour, expliquent les auteurs de l’étude.

Mais ce qui n’est pas dit, c’est que souvent les crédits débloqués ne servent pas au développement des pays parce qu’ils sont conditionnés par des avenants scandaleux qui mettent les pays bénéficiaires dans l’obligation de dépenser ces sommes dans des projets qui profitent plutôt à des multinationales occidentales, quand ils ne servent pas tout bonnement à financer le train de vie scandaleux des cadres européens expatriés dans ces pays africains.

On peut quand même légitimement se poser la question : comment se fait-il qu’après plus d’un demi-siècle d’indépendance, on en est encore là ? Pour comprendre j’invite le lecteur à jeter un coup d’œil au fameux ouvrage The Shock Doctrine [La doctrine du choc]. Naomi Klein qui examine l’histoire économique du « capitalisme de catastrophe », explique que ce système est un système violent sous-tendu par le recours à la terreur pour imposer une « thérapie de choc » économique aux populations réfractaires des pays pauvres.

La journaliste, également professeure à l’Université Rutgers (New Jersey), lie le libéralisme sauvage imposé aussi bien aux peuples du Nord que ceux du Sud (l’Afrique étant bien privilégiée sur ce plan) à la méthode du psychiatre Ewen Cameron, qui a longtemps conseillé la Maison Blanche et la CIA, qui consistait notamment à utiliser des électrochocs pour venir à bout des résistances des personnes soumises à des séances d’interrogatoire.

D’après elle, les populations sont traumatisées – à la suite d’une guerre, d’un coup d’Etat, d’une catastrophe naturelle, phénomènes, oh combien courants en Afrique. « Ensuite, ils sont traumatisés à nouveau par des entreprises et des politiques qui exploitent la peur et la désorientation pour imposer une thérapie de choc économique ».

Elle cite à ce propos bien des expériences africaines mais ce qui est intéressant c’est sa description de la « stratégie de Washington pour l’Irak » : « Traumatiser et terroriser le pays tout entier, détruire délibérément ses infrastructures, laisser mettre à sac sa culture et son histoire, puis réparer les dégâts en inondant le pays d’appareils ménagers bas de gamme et de produits alimentaires de mauvaise qualité importés. »

En face, nos soliveaux politiques qu’ils soient, islamistes, nationalistes, de gauche ou de droite, savonnant la planche, se contentent de ricaner béatement à voir glisser dans le déficit et le déclassement national nos pays, avec ce mélange d’insouciance et d’impunité scandaleux.

 

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