Mirleft : Un promoteur français fait payer l’eau au prix fort
Cela devait être le rêve d’une vie : une maison à Mirleft en front de mer avec vue sur l’une des plus belles côtes du Maroc. Et pourtant, les MRE et retraités étrangers du Domaine Club Evasion payent l’eau potable à des prix exorbitants. Une situation ubuesque liée à une convention entre l’ONEP et le promoteur, caduque depuis 2014 !
Inconnue du grand public dans les années 2000, la côte Atlantique en dessous d’Agadir attire depuis de plus en plus de monde. Plages sablonneuses et désertes, paysages naturels incroyables à Leghzira et attractivité certaine de deux villes Tiznit et Sidi Ifni, l’une capitale de la bijouterie berbère en argent et l’autre au charme colonial espagnol. Depuis, les petits villages comme Aglou ou Mirleft sont devenus des paradis pour les amoureux de la mer et des sports nautiques. Des résidences ont vu le jour, attirant promoteurs immobiliers et clients, notamment MRE et retraités français, aspirant à ce cadre de vie idyllique.
L’eau potable dépend d’une convention devenue caduque
C’est dans ce havre de paix, près de Mirleft que le promoteur immobilier français, Jean-Claude Rolland et sa société Domaine Plein Sud Evasion décide de créer un complexe touristique et résidentiel, Club Evasion à Sidi Boulfdail. Le prix de vente des villas : de 150000 à 200000 euros. Les travaux commencent en 2005.
Une convention agrémente l’approvisionnement en eau potable et en électricité. Une pratique habituelle pour que le promoteur puisse finaliser les différentes tranches de construction comme l’évoque Bouazza Kherrati, président de l’association marocaine des droits des consommateurs. « L’ONEP va fournir l’eau potable en mettant en place un compteur. Le promoteur paye sa consommation et signe un contrat qui le lie avec l’ONEP. »
Une convention soumise à la fin des travaux
Comme nous l’avons découvert dans la convention, l’ONEP effectue un « piquage sur l’adduction avale-Tiznit », à la charge du promoteur d’honorer « les prestations de l’ONEP » à sa place. Dans son article 14, le tarif de vente d’eau est alors fixé par l’ONEP au tarif de 3,65 dhs HT, qui pourra être « assujetti à toute révision décidée par les pouvoirs publics ». Enfin, précision importante, dans son article 18, le contrat court de « sa signature par le promoteur (le 7/10/2005, ndlr) jusqu’à l’achèvement des travaux ».
Les travaux vont bon train et les tranches s’enchaînent. Au nombre de 4, la première se termine, selon les attestations de fin de travaux et de conformité, livrées par la commune rurale Arbaa Sahel le 22 juillet 2008. La deuxième et 4ème tranche sont finalisés le 25 juin 2012. Enfin, la dernière et 3ème tranche est conclue le 6 mai 2014.
>>Lire aussi : 115 Mds de DH pour lutter contre le stress hydrique
Sans cadre, les prix de l’eau flambent
Après le dernier avis de fin de travaux, la convention signée en 2005 aurait dû devenir caduque en mai 2014. Bouazza Kherrati s’étonne que l’ONEP n’ait pas mis fin à ce contrat. « Quand vous finalisez les travaux, le service de fournitures d’eau potable doit s’arrêter et chaque acheteur doit s’acquérir lui-même de son propre compteur et payer directement l’ONEP. Dans le cas présent, le promoteur a prolongé un système lui permettant de distribuer l’eau potable avec des sous-compteurs. Or, les compteurs doivent être étalonnés par le Ministère du Commerce et de l’industrie. Une loi oblige même le ministère à contrôler les compteurs tous les 4 ans pour vérifier leur efficacité. Sans cela, c’est le consommateur qui se retrouve à payer plus cher.»
Malgré tout, à la fin du contrat, aucune nouvelle de l’ONEP ! Au contraire, c’est le promoteur qui par un mail du 12 août 2014, indique facturer « l’eau par trimestre au montant de 14,60 HT/m3 (11,80 pour la consommation d’eau au m3 et 2,8 dhs pour l’assainissement en fonction du m3 consommé). A cela se rajoutent les redevances fixes de 78,89 dhs HT par trimestre ».
Entretemps et suite à une augmentation, le prix est dorénavant de 13,80 dhs/m3 pour l’eau et de 2,80 dhs/m3 pour l’assainissement, soit un prix total de 16,60 dhs/m3. Un tarif 4 fois plus élevé que le prix facturé par l’ONEP au moment de la convention !
Un prix de l’eau qui dépend du mode de distribution
Comme nous le confirme Bouazza Kherrati, « le prix de l’eau est fixé par l’Etat. Nous sommes un pays en stress hydrique et les autorités font de grands efforts pour que toute la population soit servie en eau. Le prix est calculé par tranches, pour éviter les excès de consommation. Les prix varient selon les régions, mais les différences sont assez marginales au final. »
Incontestablement, le Royaume a lancé de grands travaux depuis 20 ans pour accélérer l’accès à l’électricité, à l’assainissement et à l’eau potable. La possibilité d’avoir ces services dépend du taux de couverture. « Si vous êtes dans une zone couverte par l’ONEP, vous pouvez demander votre rattachement, indique Bouazza Kherrati. On est à 89% pour ce qui concerne l’électricité et autour de 70-80% pour l’eau potable »
Selon nos renseignements dans la région de Mirleft-Tiznit, le prix de l’eau s’affiche par tranches. D’1 m3 à 20 m3, les prix vont de 2,37 à 7,39 dhs HT/m3. Même le prix le plus cher (plus de 35 m3) est de 11,03 dhs/m3, soit en dessous des 16,60 dhs/m3 pratiqué par le promoteur.
>>Lire aussi : Un ambitieux plan hydraulique adopté au Maroc
Pétition, coupures d’eau et pression du promoteur
Devant cette situation, les propriétaires du club résidentiel demande à l’ONEP de se brancher directement au réseau d’eau potable. Une pétition regroupe plusieurs propriétaires (retraités et MRE) pour faire état de leur bon droit.
L’Office, qui se targue du slogan « l’eau pour tous », ne donne pas suite. Dans un premier temps, lors d’un premier courrier de 2018, elle estime qu’il s’agit d’une propriété privée dans lequel le réseau de distribution d’eau dépend de la société Plein Sud et qu’elle ne peut agir. Pourtant, la même année, l’électricité du domaine Club Evasion passe sous la coupe de l’ONEE-ONEP. Auparavant, la société de Jean-Claude Rolland facturait les consommations.
Pour l’eau, le dossier coince toujours. Les relances des propriétaires poussent l’Office, dans un deuxième courrier de la même année, évoque qu’elle ne peut rien faire mais que « si la direction régionale juge opportun d’intervenir dans la distribution de l’eau potable dudit complexe, une réunion est à prévoir avec les entités concernées pour statuer dans cette affaire. »
Sans l’intervention de l’autorité publique, le conflit se transforme même en « pugilat » entre les propriétaires et le promoteur. Celui-ci effectue des coupures d’eau et des «mises sous pression » des récalcitrants. Une propriétaire fait constater par huissier que le promoteur a coupé l’eau chez elle, alors qu’il coule chez le voisin. Une autre femme de plus de 70 ans aura droit à des pressions. Le promoteur l’intimide et lui coupe l’eau à 3 reprises. Sans compter « l’envoi » de gardiens pour perturber la tranquillité de la vieille dame ! Malgré ses dépôts de plaintes au Tribunal de Tiznit et à la gendarmerie d’Aglou, rien ne bouge !
Des règles pourtant claires dans le domaine de l’eau
Pourtant, la Charte Communale de 1976, modifiée en 2002 et 2008 établit la distribution de l’eau. Elle stipule qu’il s’agit d’une compétence des communes, dépendant du ministère de l’Intérieur.
« Il convient de distinguer les différents métiers de l’eau, nous explique Bouazza Kherrati. En ce qui concerne la production, le transport, cette tâche revient à une institution étatique, l’Office Nationale de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEE-ONEP). C’est sur la distribution qu’il peut y avoir plusieurs formes d’intermédiaires : les régies, les concessionnaires ou encore les associations d’usagers. En général, le gouverneur de la région préside la régie et un directeur la dirige de manière autonome. Enfin, depuis la fin du siècle dernier, le ministère de l’intérieur a décidé de concéder certaines régies à des sociétés privées : Casablanca par Lydec, Rabat par Redal et la région de Tanger-Tetouan par Amendis. Ce sont des sociétés concessionnaires (pour 30 ans, ndlr) qui gèrent la distribution de l’eau. Pour notre part, nous sommes contre les intermédiaires qui cherchent des bénéfices. Leurs services font augmenter, par voie de conséquence, la facturation.»
La distribution d’eau sous la coupe de deux ministères
Les intermédiaires ne peuvent faire ce qu’ils veulent, comme nous l’explique le président de l’association des droits des consommateurs marocains. « Qu’il s’agisse d’une régie ou d’un concessionnaire, elles restent sous la tutelle du ministère de l’intérieur, dont dépend les collectivités locales. L’ONEE-ONEP dépend pour sa part du ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement. Ces deux ministères doivent donc arrêter cette « mascarade » qui ne peut durer. »
Il convient de bien préciser que la convention caduque de 2005 entre le promoteur et l’ONEE-ONEP précise bien qu’il s’agit d’un contrat d’assistance technique. Il ne s’agit pas d’une délégation ou d’une concession à une société privée. Celle-ci aurait alors dû passer par la tutelle du ministère de l’Intérieur. Dés lors, la situation des MRE de Sidi Boulfdail ne pourra se débloquer qu’avec une intervention des autorités compétentes.
Pour les besoins de notre enquête, nous avons fait des demandes et poser nos questions à la communication de l’ONEP, au directeur de l’Office, Mr Abderrahim El Hafidi ainsi qu’au promoteur et gérant de la société Plein Sud, Jean-Claude Rolland. Ils n’ont pas donné suite à nos sollicitations.