Tunisie. Migration : le président Saïed rejette la proposition de l’UE

 Tunisie. Migration : le président Saïed rejette la proposition de l’UE

Entretien entre Kais Saïed et Nabil Ammar

Le président de la République, Kais Saïed, a reçu le soir du lundi 2 octobre au Palais de Carthage son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar. A l’ordre du jour, le rejet cette fois explicite et avec fracas du plan européen d’aide à la Tunisie en matière de lutte anti migration clandestine.

Il n’aura donc fallu qu’une semaine pour que la demande unilatérale de report adressée dans un premier temps par Saïed à une délégation européenne se mue en houleuse fin de non-recevoir.

Dans un communiqué de la présidence tunisienne publié dans la nuit de lundi à mardi, Kais Saïed regrette toujours toutefois que l’initiative tuniso-italienne portée par Giorgia Meloni ait échoué. Non pas que les sommes proposées à la Tunisie soient dérisoires, se défend le même communiqué, « mais nul ne saurait manquer de respect au peuple tunisien via une proposition humiliante », conclut le texte à haute teneur souverainiste soupçonnant donc d’autres chancelleries européennes de s’être ingérées dans le mémorandum, qui n’était qu’un simple accord de principe.

 

La Tunisie de Saïed se tourne vers la Russie

Le même texte présidentiel indique que les discussions avec le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, ont porté sur la participation de la Tunisie aux travaux de l’Assemblée générale des Nations unies et sur les réunions qui ont eu lieu en marge de celle-ci, ainsi que sur les résultats de la visite du ministre des Affaires étrangères à Moscou et Pretoria.

C’est qu’en se rendant à Moscou avec le directeur de l’Office tunisien des céréales, Ammar envoyait un signal clair de l’intention de la diplomatie tunisienne de se trouver de nouveaux alliés, anti-occidentaux, dans sa quête de résolution de la crise économique aigue ayant résulté en un tarissement des denrées alimentaires de base.

Non sans une part de mégalomanie fantasmée, le chef de l’État s’est félicité ensuite de « l’écho positif de la Tunisie sur la scène internationale et dans de nombreuses capitales, tant au nord qu’au sud, en raison de ses nouvelles approches qui rompent avec ce qui prévalait par le passé ».

Il a par ailleurs souligné que le monde entier connaît de grands bouleversements et que la Tunisie, qui adhère aux principes du non-alignement, doit être à la hauteur de ces changements. « La Tunisie doit jouer un rôle actif, sa voix doit être entendue et ses positions doivent être fermes, pour créer une nouvelle Histoire pour l’Humanité », excusez du peu. Un étonnant jargon mi altermondialiste mi messianique, tenu par un Kais Saïed de plus en plus décomplexé.

Ainsi après avoir longuement posé tout sourire cet été avec le trio européen Rutte, Von der Leyen, Meloni, Kais Saïed affirme aujourd’hui sans sourciller que : « la Tunisie, qui accepte la coopération, n’accepte pas la charité ou l’aumône. Notre pays et notre peuple ne veulent pas de la pitié, mais exigent le respect », et que « la Tunisie rejette ce qui a été annoncé récemment par l’Union européenne. Non pas en raison du montant en jeu, car toutes les richesses du monde ne valent pas une once de notre souveraineté, mais parce que cette proposition contrevient à l’accord signé à Tunis et à l’esprit qui a prévalu lors de la conférence de Rome en juillet dernier ».

Le président de la République a également souligné que la Tunisie déploie tous les moyens à sa disposition pour démanteler les réseaux criminels qui trafiquent des êtres humains, et que « notre pays n’a jamais été la cause de la misère que vivent la plupart des peuples africains. La Tunisie a elle-même souffert du système mondial actuel, tout comme de nombreux autres pays, et ne veut pas être de nouveau victime d’un système mondial dépourvu de justice et de respect de la dignité humaine », affirme le communiqué présidentiel quelque peu grandiloquent.

Certains parlementaires européens avaient dès le mois de septembre averti les droites dures, italienne et néerlandaise notamment, tentées par une alliance avec le président tunisien, en leur expliquant qu’il était un « allié autoritaire et imprévisible ». Ce coup d’éclat de Carthage leur donne a posteriori raison.