Pourquoi faut-il des drames pour que l’Europe prenne des mesures (inadéquates) ?
L'Union européenne a convoqué en urgence une réunion conjointe des ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères lundi après le nouveau naufrage en Méditerranée qui pourrait avoir causé la mort de plus de 700 migrants. Loin de remettre en cause sa politique limitant l’accès légal à son territoire, l’Europe devrait annoncer un renforcement des mesures de surveillance, sans effets sur les causes poussant les migrants à tenter la traversée de la Méditerranée au péril de leurs vies.
La pire tragédie de l’histoire de la Méditerranée
La réunion extraordinaire doit débuter à 15 h à Luxembourg, après la réunion mensuelle des ministres des Affaires étrangères, selon une porte-parole du Conseil européen, qui représente les 28 États membres de l'UE. La décision a été prise dans l’urgence à la suite du naufrage d'un chalutier chargé de migrants au large de la Libye ce week-end qui fait redouter la « pire tragédie » de ce type en Méditerranée, avec au moins 700 disparus présumés.
Certains survivants ont même parlé de 950 personnes à bord, dont 250 femmes et enfants, alors que seuls 28 naufragés ont été sauvés par les garde-côtes italiens. Un drame qui accentue la pression sur l'Europe, déjà forte depuis la disparition en début de semaine d’environ 400 migrants dans ce qui a été pendant quatre jours le pire naufrage depuis le début du siècle.
Le sommet va principalement se pencher sur la Libye, pays d'origine de la plupart de ceux qui se lancent dans une traversée, où sévissent des passeurs qui profitent du chaos ambiant pour multiplier les départs de plus en plus périlleux. L’un des rescapés, transporté à l'hôpital de Catane, a affirmé que les trafiquants avaient enfermé une grande partie des migrants dans les cales sans possibilité pour eux de s'échapper, selon un communiqué du parquet de la ville.
« On ne parle pas de choses banales, mais bien de la vie humaine »
« Je vais poursuivre les discussions avec les dirigeants européens, la Commission et le service diplomatique de l'UE sur la façon de remédier à la situation » s’est contenté de poster sur son compte Twitter le président du Conseil européen, Donald Tusk. Le chef du gouvernement italien Matteo Renzi a de son côté appelé dimanche à la tenue, avant la fin de la semaine prochaine, d'un sommet européen sur ce sujet. « On ne parle pas de choses banales, mais bien de la vie humaine », a-t-il déclaré au cours d'une conférence de presse.
Le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Antonio Guterrez, a plaidé dimanche pour une action d'urgence face à ce qui représente potentiellement « la pire tragédie » dont sont victimes des migrants jamais intervenue en Méditerranée. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, qui s'est dit « choqué et profondément attristé », a appelé dimanche la communauté internationale à partager la prise en charge des réfugiés.
L’éternelle réponse sécuritaire européenne
Mais, les options avancées par les uns et les autres pourraient être largement inefficaces pour éviter de nouveaux drames en Méditerranée alors que les migrants, fuyant les guerres et les dictatures, notamment en Syrie, en Érythrée et maintenant au Yémen, vont continuer d’affluer. François Hollande a ainsi prôné dimanche sur Canal+ une solution militaire en appelant à la mobilisation de plus de moyens de surveillance en mer. Même ton à l’OIM et au HCR qui ont demandé à revenir au système de sauvetage similaire à celui de « Mare nostrum » – du nom de l’opération menée principalement par l’Italie –, mais cette fois avec le concours de l’UE.
Pour les organisations de défense des migrants, c’est la politique européenne des visas et de limitation de la liberté de circulation qui alimente l’activité des passeurs et qui conduit les migrants à risquer leurs vies en mer. « En prétendant agir pour réduire les naufrages et sauver des vies, l’UE et ses États membres n’ont fait que verrouiller (…) l’accès à leur territoire, notamment par la voie maritime, y compris à ceux qui ont besoin d’une protection et demandent l’asile », dénonce le collectif Boats4People dans un communiqué.
En 2014, 207 000 migrants ont débarqué sur les côtes du sud de l’Europe, selon le HCR — moins de 0,05 % de la population de l’UE – à la recherche d’un asile ou simplement d’une vie meilleure. À titre de comparaison, près de 4 millions de personnes ont quitté la seule Syrie en quatre ans et ont principalement trouvé refuge en Turquie, en Jordanie, en Irak et au Liban. Ce dernier accueille ainsi l’équivalent d’un quart de sa population. Pendant ce temps, seuls 4 % des réfugiés syriens ont pu trouver un asile en Europe, dont 500 en France…
Rached Cherif