Au large de la Libye, la flottille humanitaire redoute l’hiver

 Au large de la Libye, la flottille humanitaire redoute l’hiver

Alors que les navires des ONG commencent à rentrer au port pour l’hiver


Les migrants continuent cette année de prendre la mer en nombre depuis la Libye, mais la flottille humanitaire qui vient à leur secours n'est pas taillée pour l'hiver, et sans aide elle redoute de nouveaux drames. Plus de 3 200 migrants secourus, au moins 11 morts et 230 disparus : au large de la Libye, les cinq derniers jours ont été plus chargés que l'ensemble du mois de novembre de l'année dernière. 2016 est déjà beaucoup plus meurtrière en Méditerranée avec plus de 4600 morts et disparus depuis le début de l’année contre environ 3800 pour toute l’année 2015.


 


Année des records macabres


Le record de plus de 27 300 migrants enregistrés sur les côtes italiennes en octobre, et le total qui dépasse déjà 8 000 en novembre, confirment que cette année les dangers de la mer en cette saison ne dissuadent pas les migrants ni leurs passeurs. Or, la majeure partie des navires humanitaires privés qui ont joué un rôle essentiel dans les secours cette année, mal adaptés à la météo hivernale, seront rentrés au port à la fin du mois.


« Cela a été une très longue année pour les équipages et pour les bateaux », résume Pete Sweetnam, directeur du Moas, l'ONG maltaise qui avait été en 2014 la première à affréter un navire de secours privé au large de la Libye. Cette année, une dizaine de navires ont patrouillé au large de la Libye, affrétés par le Moas, mais aussi Médecins sans frontières (MSF), SOS Méditerranée, Save the Children, les Espagnols de Proactiva Open Arms et les Allemands de Sea-Watch, Sea-Eye ou encore Jugend Rettet.


 


Pallier les défaillances des États


Selon les gardes-côtes italiens, qui coordonnent les secours dans la zone, ces organisations ont mené plus de 20 % des opérations. Ils ont aussi assuré le repérage de nombreuses embarcations, la distribution de gilets de sauvetage et des soins d'urgence en attendant les plus gros bateaux, sauvant là aussi de nombreuses vies.


« Les navires humanitaires ont comblé un vide laissé par les États », explique Eugenio Cusumano, chercheur en sciences politiques à l'université de Leiden (Pays-Bas), auteur d'une étude sur les navires humanitaires. Le dispositif militaire européen actuel – marine et gardes-côtes italiens, opération anti-passeurs Sophia, agence européenne de contrôle des frontières Frontex – est en effet concentré sur des opérations de contrôle plutôt que de secours, note-t-il.


Conséquence : au fur et à mesure que les navires humanitaires se retirent, les gardes-côtes italiens sont obligés de faire de plus en plus souvent appel à des cargos ou à des pétroliers, qui ne sont pas équipés du tout pour secourir les embarcations de fortune surchargées. « Les sauvetages incessants et les nombreuses victimes de ces derniers jours illustrent à quel point la situation est critique en Méditerranée, c'est une réelle catastrophe humanitaire qui se déroule sous nos yeux », a commenté Sophie Beau, responsable de SOS Méditerranée.


 


La gestion européenne « moralement inadmissible »


Face aux besoins, l'Aquarius, affrété par SOS Méditerranée et MSF, va patrouiller tout l'hiver. Et s'il le faut, le Bourbon Argos de MSF et le Phoenix du Moas vont essayer de prolonger leurs opérations. Mais, tout cela a un coût – 11.000 euros par jour pour l'Aquarius -, alors que les dons qui ont afflué après la diffusion des photos du petit Aylan commencent à se tarir.


« Il y a maintenant une lassitude du public. Les gens savent, ils ont entendu trop d'histoires à fendre le coeur », remarque M. Cusumano, tandis que M. Sweetnam relève aussi « un retournement notable dans l'opinion publique » vis-à-vis des migrants.


Les ONG s'entendent souvent dire de retirer les bateaux et de laisser mourir les prochains à prendre la mer afin de dissuader les suivants. « C'est moralement inadmissible et factuellement faux », déclare M. Cusumano, rappelant que lorsque l'Italie a suspendu son opération de secours Mare Nostrum fin 2014, les départs ont augmenté. « Le fond de l'affaire, c'est que cela ne devrait pas être à nous de faire ce travail. L'Union européenne doit prendre ses responsabilités », lance Ruben Neugebauer, porte-parole de Sea-Watch.


« Nous en appelons à une réflexion des pays européens : les opérations de secours ne peuvent pas être laissées aux ONG », insiste Loris De Filippi, directeur de MSF Italie.


Rached Cherif


(Avec AFP)