Mémoire. Il y a 80 ans : le massacre des tirailleurs sénégalais à Chasselay
Le 19 juin 1940, alors que l’armistice a été demandé par le maréchal Pétain, des tirailleurs sénégalais continuent de barrer la route de Lyon aux soldats SS. À court de munitions après un intense combat, les survivants du régiment se rendent à l’ennemi. Les soldats noirs seront exécutés lors d’un massacre resté peu connu.
La débâcle de l’armée française est consommée. Le 17 juin, le maréchal Pétain a reconnu la défaite de la France en demandant un armistice. En attendant la réponse de Berlin, certaines unités continuent de se battre. Parmi elles, les troupes coloniales font preuve d’une combativité qui étonne les Allemands.
Il y a 80 ans, le 19 juin 1940, à Chasselay-Montluzin, la 3e compagnie du 25e régiment de tirailleurs sénégalais reçoit l’ordre de barrer la route de Lyon. Ils sont en réalité aussi Ivoiriens, Gabonais, Béninois, Guinéens, Soudanais, Peuls, Bambaras ou Malinkes.
« Preux chevaliers noirs de l’Afrique française »
Environ 25 000 Allemands avancent, dont la division SS Totenkopf (Tête de mort). Les tirailleurs surprennent les soldats nazis par leur résistance héroïque. Le combat dure jusqu’au lendemain. Un dernier groupe, commandé par le capitaine Gouzy, s’est retranché à proximité, dans le château du Plantin.
« Le capitaine nous demanda quels étaient les volontaires pour le dernier baroud d’honneur, la coloniale ne se rendant pas sans un dernier combat. Tous répondirent présents et nous prîmes nos dispositions de combat tout autour du parc », témoignera plus tard le caporal Scandariato. Ils sont alors « environ une vingtaine de Blancs d’encadrement et un grand nombre de tirailleurs sénégalais ».
« Les preux chevaliers noirs de l’Afrique française », comme les appellera Jean Marchiani, secrétaire général de l’Office départemental pour les combattants et victimes de guerre, causent environ 100 morts et 50 blessés du côté allemand. Un lourd bilan qui s’est ajouté à la propagande raciste du régime contre les soldats noirs combattant avec les alliés. Les tirailleurs se battent jusqu’à ne plus avoir de munitions, mais sont obligés de se rendre.
Après avoir été séparé de leurs officiers blancs, les soixante-dix soldats africains sont amenés à l’écart pour être exécutés à la mitrailleuse. Les chars allemands achèvent le massacre en les écrasant de leurs chenilles. Le capitaine Gouzy, les lieutenants Faewer et de Montalivet, ainsi que deux légionnaires d’origine russe, qui tenteront de s’interposer recevront des balles pour toute réponse. Le 20 juin, c’est au tour de 27 tirailleurs d’être fusillés. Ils furent les derniers à tomber pour la France avant l’armistice.
Massacre oublié
Jean Marchiani est l’un des premiers responsables à s’intéresser à ce crime de guerre. En 1942, il décide de réunir des fonds pour acheter un terrain là même où ont été massacrés les soldats. Un tata y est construit, conformément à une coutume africaine pour honorer les guerriers morts au combat. 196 tirailleurs, de plusieurs nationalités ont été enterrés.
Cet épisode est l’un des premiers crimes de guerre perpétrés par la barbarie nazie sur le sol français, mais longtemps resté oublié. « On n’en retrouve aucune trace dans les procès de Nuremberg », confie un magistrat international qui a effectué des recherches.
Dans son dernier ouvrage « Juin 1940, combats et massacres en Lyonnais » (Éd. du Poutan), l’historien Julien Fargettas a mis en lumière huit photographies inédites de cette exécution, les seules connues jusqu’à présent.
Le massacre de Chasselay est par exemple beaucoup moins connu que le drame du camp de Thiaroye à proximité de Dakar au Sénégal. Le 1er décembre 1944, 1 200 tirailleurs en cours de rapatriement demandent le paiement de leurs indemnités et soldes lors d’une manifestation. Ils ne recevront que les balles tirées par les gendarmes français. Le bilan officiel fait état de 35 morts. En novembre 2014, le président François Hollande en déplacement au Sénégal évoque non plus « 35 morts », mais au moins « 70 morts ».