Mehdi K. Benslimane : « Le penseur est mort. Vive le chercheur ! »
« Comment penser différemment, autrement, dans un monde où quasiment tout le monde nous pousse plus ou moins à penser comme tout-le-monde ? » C’est l’idée qu’avance et cherche à élucider Mehdi K. Benslimane, docteur en science politique de l’IEP de Grenoble, dans son essai Le penseur est mort. Vive le chercheur ! Paru aux éditions l’Harmattan en avril dernier, son livre propose une vision transdisciplinaire de la marche du monde d’aujourd’hui, une approche déjà saluée par l’émérite philosophe français Edgar Morin.
Concis, clair et accessible, Le penseur est mort. Vive le chercheur ! de Mehdi K. Benslimane est un ensemble de réflexions basé sur les intuitions, lectures, entretiens et discussions de l’auteur avec des chercheurs scientifiques, mais, majoritairement, sur les faits qu’il a pu observer des années durant dans le domaine de la science politique et des sciences humaines et sociales. Formulées en dix chapitres, ses idées traversent des disciplines diverses, telles que l’économie, la démographie, l’anthropologie, la sociologie, ou encore la science politique.
Remettre en question le domaine de la science
Pour Mehdi K. Benslimane, si aujourd’hui le monde vit une crise qui touche quasiment tous les domaines, la science ne devrait pas y échapper. Le monde et sa population considèrent la science comme un domaine intouchable, alors qu’elle devrait, selon lui, être tout autant questionnable, au même titre que l’économie, le social, le politique, le technologique, etc. Si l’essayiste ne nie pas les particularités de la recherche scientifique en fonction des régions géographiques, il souhaiterait qu’elle s’écarte de la forme et se redirige vers l’essentiel. Pour Mehdi K. Benslimane, les chercheurs aujourd’hui s’attachent à focaliser l’attention uniquement sur la forme, au dépend de ce qui importe réellement : « La rhétorique que l’on nous offre, pour défendre un tel positionnement, consiste souvent à dire : c’est plus complexe que cela, plus subtil ; « il faut s’intéresser aux marges ! », lire entre les interstices, trouver les articulations – mot fétiche que les chercheurs désormais aiment dire, écrire et répéter -, etc. »
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Mort du penseur et naissance du modèle de chercheur
L’auteur affirme ainsi que le penseur est mort au profit du modèle de chercheur : « le chercheur est devenu aujourd’hui, pour un ensemble de raisons, plus ou moins partisan, collectif, dissimulateur et au service du pouvoir. C’est le propre des idéologies dont on nous a, pourtant, annoncé la fin ». En suivant ce fil directeur, Mehdi K. Benslimane aborde nombre de sujet tels que l’enseignement et la recherche, le rapport qu’entretient la quantité et la qualité, et comment la première fait du tord à la seconde. Il met en exergue la « tragédie démographique », entraînée par le « règne de la quantité ». C’est ce qu’il appelle « l’ère de la distraction par la multiplication ». L’essayiste souligne également l’importance d’une pédagogie d’écriture et de littérature dans l’élaboration de travaux qui devraient être clairs et précis. L’auteur opère aussi une distinction dans la réflexion entre bonnes et mauvaises questions à poser, et comment les secondes aboutissent, finalement, à poser un mauvais cadre et à limiter le débat.
En croisant le monde de la recherche avec les domaines démographiques, économiques, sociaux, politiques, Mehdi K. Benslimane pose la question de comment se libérer de ces idéologies qui se forment à l’heure actuelle : « Une autre voie est-elle possible ? »
Mehdi K. Benslimane, diplômé en économie et docteur en science politique de l’IEP de Grenoble, son travail est qualifié de transdisciplinaire par Edgar Morin qui a salué sa thèse originale sur les rapports presse/pouvoir dans le cadre du Prix Le Monde de la Recherche en 2016. Passionné d’écriture et de poésie, chercheur associé à des centres de recherche (PACTE, IURS), il est l’auteur de nombreux articles dans la presse internationale ainsi que de contributions dans des revues scientifiques spécialisées en sciences humaines.