Mehdi Emmanuel Djaadi : « La religion m’a donné un cadre »
Avec Gad El Maleh et le chanteur Grégoire, le comédien Mehdi Emmanuel Djaadi fait partie de ceux qui sont intervenus avant la messe du pape François à Marseille. Dans “Coming out”, son seul-en-scène qui lui vaut une nomination aux Molières 2023, ce comédien raconte avec humour le parcours spirituel atypique qui l’a sauvé de la délinquance et mené de la mosquée à l’église.
Comment avez-vous réagi à votre nomination aux Molières ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : Je suis très content, même si je suis déjà comblé de voir que mon spectacle, qui a commencé dans un tout petit théâtre à Montmartre, sera en juin à l’Olympia. J’ai été au bout de ce que je voulais avec cette histoire singulière qui raconte quelque chose d’universel : l’antidéterminisme. Cette liberté s’applique à tout le monde. D’ailleurs, les plus belles représentations ont eu lieu en prison devant des détenus. La plupart d’entre eux m’ont parlé de liberté intérieure et de la manière dont la spiritualité peut aider à croire en ses rêves. Voir qu’un gamin d’une ville ouvrière pas très belle (Saint-Etienne, ndlr) peut trouver sa voie malgré les bêtises qu’il a faites donne de l’espoir.
Devenir comédien, c’était un rêve d’enfant ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : Pas particulièrement, même si j’ai toujours été le petit clown du quartier. J’apprenais par coeur les spectacles de Gad Elmaleh et de Raymond Devos. En réalité, plus que le désir du théâtre, c’est d’abord mon sens de l’observation et l’amour de l’être humain qui me mènent sur scène. La littérature d’abord, puis le théâtre et le cinéma ont nourri cette passion. Petit, je lisais énormément car j’ai eu la chance d’avoir une maman qui refusait que l’on traîne dehors. De mes 9 à 13 ans, elle me déposait devant la bibliothèque municipale tous les mercredis à 14 h. En me jetant un regard noir, qui je l’ai compris plus tard était de l’amour, elle me disait : “Tu n’en sors pas avant 17 h”. Au début, j’ai lu toutes les BD puis j’ai commencé à piocher dans les classiques…
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A 14 ans, vous commencez à sécher la bibliothèque…
Mehdi Emmanuel Djaadi : Pas que la bibliothèque. A l’adolescence, les choses se compliquent. J’ai arrêté l’école et rejeté tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à un cadre. Je suis allé en maison de correction mais je suis resté attaché à la littérature. Je pouvais avoir un recueil de Rimbaud dans les poches avec une barrette de shit en guise de marque-page. Je n’arrivais pas à suivre un cursus plus de trois mois.
Jusqu’à ce que vous décidiez de devenir comédien…
Mehdi Emmanuel Djaadi : A une période de ma jeunesse, j’ai usurpé des identités pour commettre des escroqueries bancaires. Ceux qui ont vu l’aisance avec laquelle je me glissais dans la peau de toutes sortes de personnages m’ont dit : “Mais il faut que tu fasses du cinéma ou du théâtre !”. Alors j’ai poussé la porte du conservatoire de Valence puis j’ai complété cette première formation à La Manufacture de Lausanne (Haute école des arts de la scène, ndlr) où j’ai été pris alors que je n’avais pas le bac, pourtant exigé. Le jour de la remise des diplômes mes parents étaient fiers. J’avais un bachelor d’art dramatique, un bac plus trois. En réalité, j’avais juste le “+3”, pas le bac.
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Quel a été votre planche de salut : le théâtre ou la religion ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : Les deux, l’un n’aurait pas existé sans l’autre. La religion m’a donné un cadre et un rêve à réaliser. On dit souvent que la foi peut être une aide, j’ai l’humilité de le reconnaître. Quand je me suis retrouvé sur les planches pour la première fois je me suis senti vraiment à ma place.
Né dans une famille musulmane, vous avez choisi de vous convertir au christianisme…
Mehdi Emmanuel Djaadi : A partir de 16 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la Bible pour des raisons presque littéraires. J’ai découvert la vie de Jésus bien différente de ce que j’en connaissais. Ce qui m’a plu aussi, c’est la relation intime que je pouvais avoir avec lui. A l’époque, je n’avais pas beaucoup d’amis et ça n’allait pas à la maison. Cette nouvelle foi a été une porte de sortie. L’amour attire. Je ne dis pas que je n’en recevais pas mais je viens d’une famille où on n’exprime pas les sentiments, où il y a beaucoup de pudeur. A 21 ans, j’ai été baptisé tout en restant libre de composer avec ma double identité. Je dis toujours bismillah avant de manger. J’ai gardé tout ce que j’ai reçu de beau dans l’Islam. Comme le fait de tout remettre entre les mains de Dieu quoi que je fasse.
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Quelle a été la réaction de vos proches ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : Ma conversion m’a rapproché de certains membres de ma famille et m’a éloigné d’autres. Je ne dirais pas que mes parents l’ont acceptée. Il y a eu de l’incompréhension, de la peur, de la tristesse… mais ils m’aiment. Et cet amour inconditionnel est indépendant de mes choix. D’aucuns n’ont pas compris le chemin que j’ai pris parce qu’un certain courant rigoriste n’accepte pas l’apostasie. En réalité, je ne renie rien. Mon ADN est musulman même si mon âme est chrétienne. Mon spectacle n’est pas un pamphlet contre l’Islam, dont je suis le meilleur défenseur car je l’ai connu de l’intérieur.
Votre Coming out vous a-t-il valu des menaces ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : J’ai reçu une seule fois, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, un ou deux messages d’intimidation. On m’a conseillé de suspendre les représentations mais j’ai refusé. C’est la seule fois où le rigorisme islamique m’a menacé. Par ailleurs, j’ai ressenti une forme d’hostilité de la part de la frange intégriste catholique mais aussi d’une certaine presse bien-pensante qui n’accepte pas que la spiritualité, en l’occurrence chrétienne, puisse aider un jeune issu des quartiers populaires à croire en ses rêves. Mon spectacle dérange les intégristes de tous bords, pas uniquement ceux de confession musulmane.
Nombre de vos prestations, tant au cinéma qu’au théâtre, sont d’une manière ou une autre en lien avec la foi ou une pratique religieuse. Est-ce un hasard ?
Mehdi Emmanuel Djaadi : Peut-être est-ce lié à quelque chose que je dégage. Le fait que je parle arabe et que je puisse réciter des versets du coran n’y est pas pour rien. En même temps, cela prouve que ces sujets préoccupent la société, et le cinéma s’en saisit. Ou encore est-ce aussi dû au fait que le milieu du septième art manque d’imagination. On me propose ce type de rôles parce que je suis racisé alors que j’ai envie d’en incarner d’autres, je suis formé pour. C’est l’une des motivations de Coming out. Au lieu d’attendre que le téléphone sonne, je suis monté sur scène et j’ai prouvé que je pouvais jouer un homosexuel, une femme ou un pasteur.