Facebook : pour diffuser, « faites allégeance »
Un article sur Salah Hamouri "censuré" par Facebook au nom des "standards de la communauté" ! Le Courrier de l'Atlas, à l'instar de nombreux journalistes et activistes pro-palestiniens font l'objet d'interdiction de publications par le géant américain. Sans raison et sans possibilité de contestation ! Un pouvoir qui inquiète au point que le président américain, Donald Trump le juge "dangereux" !
Tout débute avec un article le 22 août de notre collègue Nadir Dendoune, sur Salah Hamouri, détenu depuis un an "sans procès, ni charges". Aucune polémique dans l'article. Notre collègue fait son travail journalistique en donnant la parole à Elsa Lefort, femme de l'avocat franco-palestinien. Comme à notre habitude, nous mettons l'article sur le réseau social Facebook pour le partager avec nos abonnés. Soudain, notre article est "bloqué" au nom des "normes standard" de la communauté. Un langage barbare qui permet au réseau social de "censurer" comme bon lui semble quand il estime que c'est raciste, homophobe, en lien avec la nudité, etc.
Avec ses 2,2 milliards d'utilisateurs mensuels, Facebook n'est pas seulement un réseau social géant. C'est pour les médias en ligne, l'une des possibilités de diffuser directement des informations à ses abonnés ou lecteurs. Le tout avec un Goliath qui décide et applique les règles selon son bon vouloir !
Après voir insister pour que les médias aient le maximum d'abonnés sur leurs pages, le géant américain décide en 2015 avec son algorithme de ne pas diffuser les publications à l'ensemble des abonnés mais à un pourcentage restreint. Si vous avez 10 000 abonnés, votre publication atteindra 25% de vos abonnés. Si vous en avez 100 000 comme le Courrier de l'Atlas, vous n'en "toucherez" que 5 à 10%, à moins de passer à la caisse et de faire de la publicité sponsorisée pour ses articles. Une contrainte de plus pour la liberté d'expression et un moyen d'asphyxier les médias indépendants. Si vous voulez tout de même diffuser sans publicité, il vous faudra avoir des "likes" et des "shares" qui rendent la publication virale. Sans ça, la publication tombera dans les oubliettes de votre historique. Et le Courrier de l'Atlas n'est pas la seule victime. Par exemple, le champion du média en ligne en France, Brut a vu ses interactions mensuels par abonné tomber de 3,89 à 2,30 entre mars 2017 et mars 2018, selon le JDN. Une chute de 45% pour la plupart des médias en ligne !
Une liberté d'expression à géométrie variable
Or, Facebook se targe d'être le champion de la liberté d'expression, institution sacro-sainte aux Etats-Unis. Si la société dépend du droit américain et à ce titre, autorise des publications qui ne seraient pas diffusables dans plusieurs pays, elle utilise ses conditions générales pour estimer qui a le droit ou pas de diffuser. Une sorte de "super-autorité", avec algorithme et régulateurs qui "censure" mais ne donne pas et n'est pas contraint de donner des explications.
Contrairement à la France où le droit de la presse est régi par un code et dépend des tribunaux, Facebook décide seul de ses "censures". Elles peuvent prendre la forme du blocage de publication, du blocage de compte (officiellement le temps de la vérification) mais aussi du bannissement total du réseau social. Dernière trouvaille également, la disparition des "like" et "share" de la publication afin de ne pas rendre la publication virale.
Et dans ce caphranaüm, les sites d'activistes et de journalistes pro-palestiniens sont des victimes priviligiées. Ainsi, un rapport de l'ONG palestinienne Mada favorisant la diffusion et le développement des médias libres, dénombre les "incidents" qui ont permis à Facebook de bloquer des posts d'activistes et de journalistes. Souhaitant empêcher les publications contre son pays, Israël a créé une cyber-unité en 2015 qui contrôle tout ce qui est publié sur le net. Parrallèlement, elle effectue des pressions sur les compagnies tels que Facebook ou Twitter pour les encourager à "censurer", au nom de "incitation à la violence".
En 2015, ce sont les pages de 10 administrateurs du Centre Palestinien d'Information (PIC), suivi par deux millions de personnes dans le monde, qui sont bloqués. Et, les "incidents" de ce genre se multiplient. Sanabel Radio, Quds News, Shehab, Centre d'Information Palestinien, ONG Addameer… Tout le monde est visé : médias, activistes, associations caritatives. Selon le rapport de Mada en 2015, 61 journalistes palestiniens et 9 journalistes israéliens ont fait les frais de ces blocages. Ce chiffre a du augmenter sans aucun doute depuis. L'organisation a écrit une lettre à l'ONU sur les procédures de l'Etat israélien visant à réduire au silence les médias en Palestine.
Peut 'on se passer de Facebook ?
Les scandales s'accumulent pour Facebook, notamment aux Etats-Unis, où son rôle avec Cambridge Analytica dans l'élection de Trump est en cours d'instruction. Paradoxe extrême ! Le président américain estime que le réseau social empêche dorénavant la diffusion des idées conservatrices qu'il défend. Donald Trump, friand de réseaux sociaux (notamment Twitter), juge dans une interview à Reuters, qu'il est "dangereux" que Twitter et Facebook autorégulent les contenus diffusés sur leurs plateformes.
Face à cet état de fait, de nombreuses personnes se demandent si un boycott du réseau social n'est pas de mise. Une solution envisageable mais difficile à mettre en place tellement le réseau social a su se rendre indispensable dans la diffusion de l'information. Par exemple dans le cas des Palestiniens, c'est 96% des personnes interrogées, qui estiment que la première utilisation de Facebok est de suivre les informations. Sans Facebook, pas de diffusion de l'information !
Certains pays ont compris très tôt qu'il fallait d'autres réseaux sociaux. La Chine n'a pas autorisé Facebook dans son pays et a mis en place son propre réseau social, Wechat géré par la holding Tencent. Celui-ci rassemble 2,4 milliards d'utilisateurs mensuels actifs, principalement dans l'Empire du Milieu.
Une autre puissance, la Russie, a décidé aussi d'être plus présent sur son réseau social. Vkontakte, le réseau social russe, fondé en 2006 est très proche graphiquement du site créé par Mark Zuckerberg. Un réseau social avec 96 millions d'uilisateurs actifs, très loin des 2 milliards de Facebook. Vkontakte attire de plus en plus les décus du géant américain. Alain Soral, Dieudonné et des nombreux membres de la fachosphère se sont redirigés sur le réseau russe, moins enclins à la censure sur des propos extrémistes. Ses bénéfices ont crû de 43,3% en 2016 et les fondateurs s'attendent à doubler les bénéfices de Vkontakte dans les trois à quatre prochaines années.
La France et pour un plus grand marché, l'Europe, n'ont pas su répondre à cette demande. Ils ont laissé les géants américains faire la loi et plus grave, récupérer les méta-données, arme de demain pour l'intelligence artificielle.