Marseille. Il y a 30 ans, Ibrahim Ali était tué par un militant FN

Marseille, 21 février 2020. Hommage à Ibrahim Ali, tué 25 ans plus tôt. Malgré de nombreuses demandes, proches et habitants n’ont pas obtenu qu’une rue porte son nom.
Il y a 30 ans, Marseille est secouée par un drame qui marque les esprits. Le 21 février 1995, Ibrahim Ali, un lycéen de 17 ans d’origine comorienne, est abattu d’une balle dans le dos par un militant d’extrême droite
Ce soir-là, Ibrahim Ali a la tête pleine de projets : son groupe doit se produire dans quelques jours à un gala contre le sida à Vitrolles. Le rap est en plein essor en France, avec des groupes comme NTM ou IAM qui cartonnent. Ibrahim, lui, y croit. Pourquoi pas eux ?
Mais tout bascule sur l’avenue des Aygalades. Alors qu’il rentre chez lui, Ibrahim croise trois hommes en train de coller des affiches pour Jean-Marie Le Pen.
Parmi eux, Robert Lagier, un retraité nostalgique de l’OAS (Organisation armée secrète, un groupe terroriste d’extrême droite opposé à l’indépendance de l’Algérie), armé d’un fusil .22 Long Rifle.
Sans raison apparente, Lagier tire. Ibrahim est touché dans le dos. Il s’effondre, murmure « Ils m’ont eu » et meurt peu après dans l’ambulance. Le choc est immense.
Dans les jours qui suivent, des milliers de personnes descendent dans les rues de Marseille et dans toute la France. La communauté comorienne est en première ligne.
Mais Jean-Marie Le Pen, lui, reste dans son rôle : il ironise sur la présence des Comoriens à Marseille et défend, l’année suivante, « l’inégalité des races ». Une provocation de plus.
Trois ans plus tard, en 1998, le procès a lieu. Robert Lagier est condamné à 15 ans de prison pour le meurtre d’Ibrahim. Ses complices, Mario d’Ambrosio et Pierre Giglio, écopent de 10 et 2 ans de prison.
À la barre, Lagier tente de minimiser son acte : « C’était un accident, rien à voir avec le racisme. » Mais sa petite-fille, Julie, alors âgée de 16 ans, lui coupe l’herbe sous le pied : « Mon grand-père m’emmenait au club de tir pour viser les Arabes, qu’il appelait des « melons ». J’avais 8 ans. » Le masque tombe.
Pendant le procès, les défenseurs des accusés, soutenus par le FN, tentent de retourner la situation en invoquant la « légitime défense ». Bruno Mégret, alors délégué général du parti, va même jusqu’à affirmer que les colleurs d’affiches se sont fait agresser.
Mais les enquêteurs balayent cette version : « Les jeunes couraient à gauche, les coups de feu sont partis dans la même direction. Pour intimider, ils auraient pu tirer en l’air ou de l’autre côté. » Leur argument ne tient pas.
Vingt-six ans plus tard, en 2021, Marseille rend enfin hommage à Ibrahim Ali. Benoît Payan, le nouveau maire, inaugure une avenue à son nom. « Aujourd’hui, nous rendons justice à l’un de nos enfants », déclare-t-il. Le RN proteste, mais la décision est actée. Ibrahim Ali fait désormais partie de l’histoire de la ville.
Chaque année, des centaines de personnes se rassemblent pour commémorer sa mémoire. Parce que l’oubli n’est pas une option. Et parce que le combat contre le racisme, lui, est loin d’être terminé.



