Marouane Bakhti : « entre deux cultures, deux rôles sociaux, deux mondes »

 Marouane Bakhti : « entre deux cultures, deux rôles sociaux, deux mondes »

« Comment sortir du monde » (Les nouvelles éditions du réveil), le premier roman de Marouane Bakhti, parle d’homosexualité, de discrimination et de religion.

Un premier roman et déjà beaucoup de choses à dire. Marouane Bakhti, auteur de « Comment sortir du monde », a une vision à la fois complexe et juste d’une personne vivant entre deux mondes.

Comment trouver son chemin en grandissant et en évoluant entre deux mondes. S’adapter, observer, parfois se taire. Avec « Comment sortir du monde » (Les nouvelles éditions du réveil), Marouane Bakhti livre un premier roman empreint de son expérience. Double culture, homosexualité, discrimination, religion, le personnage principal du roman, comme l’auteur, affronte de nombreuses difficultés. Marouane Bakhti nous parle un peu plus des enjeux très réels contenus dans ce roman.

Où avez-vous grandi ?

J’ai grandi dans un endroit entre la fin de la ville de Nantes et le début de ce qu’on appelle la campagne, isolée de tout. Un endroit un peu hybride qui a inspiré le monde dans lequel le personnage évolue. Cet endroit résonne avec le personnage qui, lui-même, est entre deux mondes, entre deux espaces, entre deux langues, entre deux cultures, entre deux rôles sociaux.

Quelle est la part de réalité, d’éléments autobiographiques dans votre roman ?

J’ai fait le choix de dire « je » dans le livre, ce qui donne une impression de réalité. Mais ça ne veut pas dire nécessairement que ce soit vraiment moi. C’est ce qui m’intéresse, d’être entre la vraie vie et la littérature.

Quelle est cette honte que veut fuir le personnage ?

C’est un des éléments inévitables, inhérents à l’enfance de quelqu’un qui n’est pas hétérosexuel. On leur apprend très tôt, de façon très intuitive, que leur façon de se mouvoir, de parler, que le moindre de leurs intérêts, même une passion, devient un enjeu. Tout devient envahi par ce sentiment de honte qui naît dès l’enfance par rapport à ce qu’on est, parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Le personnage ne grandit pas dans une famille profondément homophobe. Mais il y a un tabou autour de ces sujets-là. Un silence qui naît et qui grandit. L’enjeu et le défi du personnage c’est de comprendre pourquoi cette honte et d’essayer de la dompter.

Pourquoi cette « fuite » vers Paris ?

Le personnage y distingue une sorte de potentialité de refuge. Ce qui m’intéressait aussi c’était de jouer avec ce cliché, du jeune homosexuel qui part de sa petite ville de province et qui va à Paris pour vivre ce qu’il est réellement. Mais on se rend bien compte dans la seconde partie du livre que ça ne marche pas, que la vie est beaucoup plus complexe.

D’autant plus quand on est de culture musulmane, ça devient compliqué de trouver quelqu’un qui nous ressemble. On se dit qu’à Paris, avec une telle densité de population, il y en a bien un ou deux qui devraient me comprendre. Je voulais montrer que dans un tel espace, on pouvait aussi vivre le racisme, la solitude…

L’homosexualité additionnée à la double culture met dans un état d’hyper-conscience selon vous. Qu’est-ce que cela signifie ? 

Dans le sens d’hypersensibilité. On est dans un monde tellement miné de potentielles agressions verbales, de sentiment de malaise, on veut éviter ça à tout prix. Donc on apprend très vite à s’adapter aux situations. Les enfants qui ont grandi dans une double culture, entre deux mondes qui ont leurs règles culturelles propres, savent très rapidement s’adapter, de façon très intuitive.

Quand on est potentiellement sujet à la discrimination de toutes sortes, on est dans quelque chose de super aware sur ce qu’il se passe socialement, les non-dits, les espaces où on a le droit d’aller. Ça peut également être assez épuisant.

Quel rapport le personnage a-t-il à la religion ?

Le rapport à la religion pour moi est évident. Quelque chose de très facile. J’avance dans un Islam décomplexé, c’est ce que j’aime dire. Comme le personnage qui, à un moment, a besoin de rentrer en lui-même. De quelque chose qui va le connecter aux siens dans le cadre du deuil. Par contre, il le fait de façon très solitaire. Il ne va pas à la mosquée. Son rapport à sa foi et le rapport de sa famille à la foi sont presque décorrélés de son homosexualité.

Quel est son rapport à la langue arabe ?

Pour lui c’est un mystère. Il baigne dans cette langue, les gens autour de lui l’apprennent assez facilement mais lui ne l’apprend pas. Il est face à une espèce d’incapacité mais qui est aussi une sorte de refus déguisé de la culture du père qu’il stéréotype lui-même et qu’il imagine comme archaïque. C’est vraiment de l’ordre de l’expérience diasporique.

Ça dépend aussi de la vie des parents, est-ce qu’ils parlent cette langue-là dans le foyer ou pas ? Ça peut donner naissance à des frustrations aussi ou à des rancœurs. Il ne faut pas en vouloir à nos parents de ne pas nous avoir transmis cette langue. Parfois on ne transmet pas toute sa culture d’origine parce qu’on veut que son enfant s’intègre, avant tout, au pays dans lequel il est. Les parents font comme ils peuvent, il ne faut pas avoir un discours trop moralisant. Nous ne savons pas ce que c’est de quitter son pays, de faire une famille ici, de créer des règles à partir de rien….

>> A lire aussi : Ouissem Belgacem, ancien footballeur qui a fait son coming-out : « Je ne veux plus avoir à mentir sur qui je suis »