Maroc. Vidéos, gouvernement, fake news : le vrai du faux
J’ai vu, comme beaucoup de citoyens, observé, décortiqué, étudié dans le détail ces vidéos au montage grossier, avec des anachronismes incroyables, des échos de manifestations fantômes, des reprises de slogans éculés avec un seul coupable, le chef du gouvernement et un seul mot d’ordre « dégage » ! Un chef de l’exécutif, accusé de tous les maux même les plus improbables, la pandémie, la sécheresse, le chômage des diplômés, la hausse du baril de pétrole et pourquoi pas, même la crise en Ukraine ! Et, ce, qu’on nous permette d’être bien sceptiques, à quelques mois à peine de la prise de fonction de cette équipe.
Qui en veut à Aziz Akhannouch ? Peu importe si ces attaques proviennent de ces islamistes qui ont perdu lamentablement la bataille électorale en perdant par la même occasion le soutien des classes populaires ou encore de ces militants de la dernière heure qui se sont inventé un nouveau métier bien lucratif : « opposant professionnel », mangeant à tous les râteliers, que ce soit à travers le nombre de clics payés rubis sur l’ongle ou encore grâce à l’argent distribué généreusement par des officines étrangères, Akhannouch n’évitera pas les attaques multiples et confuses de ce « populisme » obscène.
Quand il perd la bataille des urnes, le populisme, un jour ou l’autre, finit par choisir la rue. Or, la rue, aujourd’hui, ce sont les plateformes des réseaux sociaux. « Ah, le peuple est en haut mais la foule est en bas », disait Victor Hugo. Ceux qui trafiquent ces vidéos de mauvais goût sans souci pour leur crédibilité, avançant masqués derrière la lâcheté de l’anonymat du web s’adressent d’abord à cette foule qui constitue le ferment du populisme.
Selon le philosophe Olivier Abel « les nouveaux modes de communication laissent des masses qui nous semblent inorganisées mais qui peuvent soit réveiller la démocratie, pour la réinventer, soit aussi réitérer sous des formes inédites quelque chose qu’on avait coutume avant d’appeler le fascisme ».
En dehors des choix légitimes de pouvoirs élus, ce qui est le cas de la majorité actuelle, le populisme est à la fois le symptôme d’un réel malaise populaire et l’expression de chimères qui ne mangent pas de pain.
Malheureusement, des millions de Marocains ruminent le ressentiment d’être abandonnés par les « puissants », une caste où on retrouve pêle-mêle la classe politique, la finance, les riches, les médias, l’élite, tous boucs émissaires de leurs malheurs.
Ces souffrances, où le populisme trouve sa source, sont alimentées par ce sentiment de déréliction, un chômage sempiternel qui a explosé avec la pandémie avant d’être attisé par la sécheresse. Le populisme est un gouffre noir qu’alimentent les peurs séculaires, la clochardisation de nombreux salariés jetés à la rue, la misère des pauvres encore plus pauvres, alimentée par l’immoralité des patrons.
Machiavel, divisait la société entre la Place (Piazza) et le Palais (Palazzo). Ce qui donne aujourd’hui, d’un côté les riches, les élites, et d’un autre côté, le peuple magnifié, vertueux, un peuple supposé honnête mais pauvre et surtout malheureux. C’est le fameux crédo du populisme dont usent les pyromanes qui tirent les ficelles de cette (sale) campagne médiatique. Une passion marocaine, le riche bashing ? Sûrement, mais il y de bonnes et de mauvaises passions surtout quand une nouvelle philosophie inquiétante se met en place dans la société à la lueur de toutes ces « fausses affaires ».
Quand Warren Buffet (grand milliardaire devant l’éternel) disait « c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui nageaient nus », on peut le traduire comme on veut, y compris que les responsables de la crise ne sont pas forcément ceux qu’on désigne à la vindicte publique. En tout cas, ces capitalistes vilipendés ont au moins le mérite de créer aussi de la richesse pour le pays et de contribuer tant bien que mal au progrès économique.
Si on veut être objectif (mis à part la parenthèse du Covid), en dépit des incertitudes actuelles, les progrès de productivité restent importants, le royaume séduit toujours les investisseurs étrangers et pas que les petits, et les vents de la géopolitique lui sont favorables. Ce n’est pas de l’optimisme béat (même s’il en faut), ce sont des constats.
Alors s’il y a vraiment quelque chose qu’il faut faire dégager, c’est la petite politique, celle qui consiste à régler les battements du cœur de la nation avec ses intérêts du moment, choisir le parti de se servir au lieu de servir cette même nation, quitte à saper le moral des populations. Ne l’oublions jamais, la politique comme l’économie c’est d’abord une affaire de psychologie.
Bien sûr, les élites du pays ne sont pas blanches comme neige, et quelque part leur détestation est aussi une conséquence logique des fausses promesses de lendemains meilleurs pour les Marocains, ici et maintenant, depuis des décennies et à chaque échéance électorale. Des populations auxquelles on demande aujourd’hui de s’adapter sous peine de crever.
Autres motifs de crispation, les logiques d’entre-soi, des élites qui vivent entre elles, résident dans des villas bunkerisées, avec une progéniture qui fréquente uniquement les écoles « des riches », renforçant par là un système éducatif déjà de plus en plus inégalitaire.
Le royaume peut-il échapper au vertige populiste ? Bien sûr. Non seulement, le pays est bien parti pour se retrouver dans le peloton de tête des nations qui comptent, mais le Maroc a aujourd’hui la double chance d’être sous un régime monarchique et d’avoir à sa tête un chef d’Etat intelligent. On reproche souvent au chef de l’exécutif d’avoir l’oreille du monarque et c’est tant mieux.
Bien au-dessus de la mêlée, le roi fait actionner les leviers de l’État providence quand la conjoncture l’exige, il défend le pouvoir d’achat en plein cœur de la pandémie, il impose la démocratie quand les urnes choisissent des islamistes honnis par une grande partie des Marocains et fait respecter le choix de ces mêmes citoyens quand ils décident de voter pour un parti de « notables ».
Le roi privilégie toujours l’Etat de droit contre l’état de fait et cerise sur le gâteau, il possède cette rare capacité à rallier à d’éventuelles réformes, une large adhésion publique. Tout le contraire du populisme.
>> Lire aussi : Edito. Petites nations : s’abstenir !