Victoire du pays réel
Si les démocrates n’ont pas gagné, la démocratie s’en est bel et bien sortie à l’issue des législatives au Maroc, le 7 octobre dernier. Au lendemain du scrutin, même les ennemis jurés du Royaume ont dû reconnaître le bon déroulement de ces élections, saluées par l’ensemble des observateurs internationaux.
Côté résultats, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) sont sortis grands vainqueurs. Le camp d’en face a eu bien du mal à digérer cette reconduction inattendue. La première thèse avancée est celle d’une opération de dédiabolisation menée par le PJD, qui aurait parfaitement réussi au clan des “démagogues”.
“La démagogie, nous rappelle le Petit Robert, désigne une politique par laquelle on flatte, excite et exploite les passions des masses” – un sport pratiqué, en fait, par tous les partis, sans exception, qui se sont affrontés.
Sans adversaire de taille sur l’échiquier politique, le Premier ministre sortant Abdelilah Benkirane, malgré un bilan médiocre, a tracé la victoire de son parti en rassemblant bien au-delà de ses sympathisants.
Les formations adverses – le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM) en tête – sont vite devenues les idiotes utiles de la stratégie péjidiste. Plus elles venaient marcher sur les plates bandes du PJD, plus elles s’obstinaient à casser du sucre sur le dos des islamistes, plus elles donnaient le sentiment de valider leurs thèses tout en les confortant dans le statut de victimes “du camp du mal”.
A ses adversaires qui l’accusaient de vouloir islamiser la société marocaine, le secrétaire général du PJD répétait qu’il n’avait pas besoin d’islamiser les Marocains puisqu’ils “sont déjà bien assez musulmans comme ça!” 57% d’abstention D’un autre côté, laminée, la gauche s’en est sorti la queue entre les pattes.
Même la nouvelle formation à la mode chez la jeunesse branchée, la Fédération de la gauche démocratique – un rassemblement hétéroclite des refuznik d’antan – ne sera finalement représentée au Parlement que par deux misérables strapontins.
Un grand bémol, cependant, puisque la désaffection pour la politique a été poussée à son paroxysme au cours de ce scrutin. En effet, près de deux Marocains sur trois ont boudé les urnes (seuls 43 % des électeurs ont fait le déplacement). Là est sans doute le plus grand échec de toutes les formations qui n’ont pas su retisser le lien avec les populations.
Alors, une deuxième fois aux commandes, les islamistes céderont-ils à l’envie de mener cette fameuse guerre religieuse contre les libertés publiques, comme les accusent leurs détracteurs ? En politique, la religion sert souvent des intérêts qui n’ont rien de religieux. Une idéologie cache certes toujours des desseins inavoués.
On peut reprocher aux islamistes du PJD d’avoir dénoncé avec beaucoup de démagogie la corruption, la “débauche” et la “chute des valeurs”, mais, au final, ce sont ces mêmes islamistes qui constituent un antidote efficace contre plus extrémistes qu’eux, contre cette fable tragique qui a fait dire à Nietzsche que “les martyrs furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent”.
L’idée que la reconduction des islamistes modérés puisse, entre autres, constituer un rempart contre le fanatisme religieux en fait bondir plus d’un, notamment les adeptes de la bien-pensance moderniste, qui demeurent sourds et aveugles sur les réalités complexes de la société marocaine.
Abdellatif El Azizi