Maroc. Recherche scientifique : Pourquoi le ministre devrait s’inquiéter
Le ministre marocain de l’Enseignement supérieur est-il vraiment conscient de l’ampleur de la tâche quand il décide de s’attaquer aux tares de l’enseignement supérieur, en annonçant son souhait de créer « des commissions de l’enseignement supérieur » qui vont s’atteler à déterminer les nouveaux critères de recrutement des enseignants du supérieur pour semble-t-il s’attaquer « au fléau du clientélisme, au népotisme et à la corruption » qui sévissent dans certains départements ?
Si on s’en tient juste au cursus des doctorants au Maroc, il y aurait tellement de choses à dire qu’une thèse ne suffirait pas, tant les maux des étudiants dépassent de loin le fameux stress et le burnout liés à la recherche scientifique et qui ont fait justement l’objet de recherches universitaires dans de nombreux pays. La recherche scientifique, eh bien parlons-en.
Il y a quelques semaines, Abdellatif Miraoui s’est longuement étalé sur le sujet devant les députés de la Chambre des conseillers. Le ministre qui défendait son « plan national de transformation et d’amélioration de la gouvernance du système de la recherche scientifique », a annoncé une prochaine réforme du Conseil national de la recherche scientifique, « pour plus d’efficience, faisant état de l’adoption de nouvelles normes visant à encourager les enseignants-chercheurs et les laboratoires à entreprendre la recherche scientifique, ce qui devrait à terme se traduire par une organisation efficiente de l’ensemble du système ».
Il a de même expliqué que « les étudiants pouvaient faire leurs formations, décrocher des modules, partir travailler et revenir à l’université en gardant leurs modules, ce qui leur permettra ainsi de poursuivre leurs formations et accompagner les changements dans les différents métiers » !
Comment le responsable compte-il retenir des étudiants en doctorat dont la majorité quitte le cursus avant la présentation de leur thèse ? En effet, selon les chiffres du Conseil supérieur de l’éducation évaluant le cycle doctoral, 9 doctorants sur 10 ne vont pas jusqu’au bout et abandonnent avant la présentation de leur thèse. Pour être plus précis, seuls 10 % de ces étudiants qui n’ont pas le statut de chercheurs, soit dit en passant.
Le ratio du nombre de thèses de doctorat soutenues par rapport au nombre de doctorants est trop faible (5,7% en 2017), par comparaison à d’autres pays. Si on compare à la France, qui n’est pourtant pas le leader en la matière, on constate que quatre doctorants sur dix obtiennent leurs doctorats.
En cause bien sûr, les conditions précaires qui les poussent à abandonner leur thèse pour trouver un emploi pour aider leur famille, car en général, ces étudiants viennent de familles pauvres mais il y a aussi les conditions d’étude qui laissent à désirer, notamment des encadrants, dont la plupart ne font aucun effort pour soutenir l’étudiant quand ce n’est pas eux, la principale force de blocage dans la progression des doctorants qui n’ont en général pas de bourses conséquentes, contraints ainsi de se débrouiller tout seuls pour l’accès aux recherches. Quant au matériel et autres laboratoires de recherche, il faut oublier.
Si on ajoute à cela une partie d’enseignants sans scrupules qui font tout pour dégoûter les étudiants chercheurs souvent transformés en laquais, la boucle est bouclée. Parlons chiffres pour étayer ces propos : en effet, le dernier rapport sur la recherche scientifique et technologique au Maroc de l’Instance nationale d’évaluation (INE), relevant du Conseil supérieur de l’éducation constate dans son analyse du cycle doctoral que le taux d’abandon est de 32,7% pour toute la période 2004-2013. Celui-ci s’élève à 41,4% si on se limite à la période d’analyse 2004-2010. Alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, le doctorat attire de moins en moins de candidats pour des raisons objectives, dont le manque de bourses conséquentes.
Pour ne pas charger l’enseignant de tous les maux, il faut également pointer du doigt l’enfer de la bureaucratie qui fait que la complexité et la lenteur des procédures finissent par dégoûter les quelques enseignants-chercheurs sérieux qui vont encore s’engager dans des activités de recherche supposées également être génératrices de recettes pour leur université. Souvent ces enseignants-chercheurs, porteurs de projets finissent par abandonner eux aussi leurs projets, car au moment du versement de la première tranche qui intervient très en retard, le projet est souvent obsolète.
En bref, le moins qu’on puisse dire, c’est que rien ne va plus dans l’enseignement supérieur qui reste pourtant le socle du développement d’un pays. Étudiants stressés ou démotivés, niveau de recherche désastreux, un secteur en perte de vitesse, perte de sens et de valeurs…
Et pourtant depuis des années, on nous serine des réformes calquées sur le système privé qui ne retiennent du privé que le négatif, dont le fameux « marche ou crève », alors que l’enseignement supérieur gagnerait à user des méthodes de management moderne des ressources humaines qui ont fait leurs preuves dans les entreprises privées. A commencer par les moyens de contraindre les enseignants à cette notion de productivité et de compétitivité qui prévalent dans le privé. (Soit dit en passant, une bonne partie de ces enseignants gagnent de l’argent dans d’autres activités lucratives au mépris de l’interdiction du cumul de fonctions qui prévaut dans la fonction publique).
Mais pour que cette obligation de résultat soit effective, il faudrait mettre fin à la corporation de ce corps de métier où l’enseignant reste le seul fonctionnaire de l’Etat à ne rendre compte à personne si ce n’est à lui-même ! Or le vrai sujet, c’est l’étudiant, pas le prof, et donc la première priorité, la plus vitale, est la motivation de nos étudiants, et surtout ceux qui viennent du plus bas de l’échelle sociale. Ce sont eux qui vivent les problèmes des études supérieures au quotidien avant les autres, qui en souffrent et qui ont souvent déjà̀ entrepris toutes les démarches sans succès, en témoignent les scandales « notes contre sexe » et ce qui reste caché est pire.
Il suffit pourtant de mettre en place des process d’écoute active pour voir combien ces doctorants qui abandonnent le rêve de décrocher le fameux diplôme après quelques années de calvaire souffrent avant de décrocher.