Rachid Lamrini : « Approvisionnez-vous « normalement » en médicaments »
Les nuits sont courtes pour le président du conseil de l'ordre des pharmaciens répartiteurs au Maroc. Dans un contexte de confinement, il cavale dans tous les sens entre les réunions au ministère marocain de la santé, la coordination des pharmaciens répartiteurs et de l'industrie pharmaceutique, la gestion des stocks et l'évaluation de la situation sanitaire. C'est dire si sa parole est rare ! Il souhaite rassurer les Marocains : les stocks de médicaments sont suffisants. Ils les appellent à s'approvisionner "normalement" et à éviter toute "surconsommation".
Comment se porte le marché du médicament au Maroc ?
Rassurons nos concitoyens ! Les stocks de médicaments sont une préoccupation majeure des autorités de santé et des professionnels de la pharmacie. En ces temps de crise, plusieurs mesures ont déjà été prises pour assurer la répartition des médicaments la plus optimale et surtout la plus équitable possible au niveau de tout le pays. Dans le contexte actuel, pour pouvoir servir les traitements et parer au maximum à d’éventuelles ruptures d’approvisionnement, la consigne que je pourrais donner est celle de continuer à s’approvisionner normalement à la pharmacie, selon les besoins réels et habituels. Le risque majeur réside dans le mouvement de panique, qui se traduit par des achats de médicaments correspondant à des mois de consommation générant un stockage à domicile inutile. Ces comportements peuvent générer des « fausses ruptures », dues à un déplacement des stocks de médicaments des pharmacies vers les particuliers ! Faire cela, notamment pour les médicaments utilisés dans les maladies chroniques peut exposer une partie de la population à de réels dangers. Ca ne sert à rien de "dévaliser" les pharmacies, d''avoir 6 mois de stocks à domicile et de priver d'autres malades de leurs traitements.
Le marché est donc parfaitement alimenté…
Oui. Il faut juste cesser ses "fausses ruptures" de la pharmacie vers les domiciles qui n'ont pas de sens. Nous serons en mesure de réapprovisionner le marché à condition que nos concitoyens nous laissent le temps de le faire et ne vident pas les pharmacies à cause de leur angoisse et de leur panique. J'en appelle aux valeurs de solidarité et de citoyenneté. Encore plus pendant cette période de crise, nous ne devons former qu'un. Ce sont d'autres compatriotes qui souffrent de ce genre de comportements.
Peut'il y avoir à terme un risque de pénurie de médicaments au Maroc ?
La mise à disposition du médicament sur le marché dépend de plusieurs process interdépendants, et nous savons que des perturbations des chaines logistiques sont d’ores et déjà à prévoir. Ces perturbations importantes commencent au niveau des fabrications de matières premières, souvent localisées en Chine ou dans d’autres pays d’Asie du sud-est qui sont durement touchés par le COVID 19. Elles touchent également les transports de marchandises (avions cloués au sol, camions à l’arrêt, fermetures des frontières terrestres, etc…). Donc la pression sur les stocks mondiaux de matières premières va aller en grandissant, sur les prochaines semaines, voire les prochains mois. Cela étant dit, nous avons au Maroc la réglementation pharmaceutique encadrant les stocks de sécurité exigeant 3 mois minimum de produits finis pour les laboratoires et un mois de couverture pour les grossistes. Les laboratoires disposent des stocks de sécurité des principales matières premières médicamenteuses qui nous permettent d’être sereins pour assurer la fabrication des médicaments sur les prochains mois, selon les prévisions actuelles. De grâce, approvisionnez-vous "normalement" en médicament !
Quel est le rôle du pharmacien marocain dans ce contexte de crise ?
Il n'y a pas un mais des "profils" de pharmaciens. Le pharmacien industriel est le garant de la production et du contrôle d’un médicament qui répond aux normes internationales de qualité et de sécurité pharmaceutiques. Le pharmacien grossiste répartiteur en assure la disponibilité auprès des pharmacies. Notre secteur de répartition est performant au Maroc. C'est une chance ! Evidemment, le pharmacien officinal est le plus connu et le fait qu'il soit en contact direct avec les clients lui donne une grande importance. Il est en 1ère ligne et joue un rôle essentiel de dispensation des médicaments, et de conseils avisés pour des patients toujours demandeurs. Enfin, le pharmacien hospitalier, sans doute le moins considéré et pourtant aux missions importantes, assure les hôpitaux de préparation de médicaments, de la chimiothérapie, la stérilisation, la pharmacie clinique, etc. Si j'ai une certitude, c'est qu'ils ont pleinement conscience de leurs tâches et qu'ils assurent leurs missions avec beaucoup d'engagement et d’éthique.
Le gouvernement marocain a demandé la réquisition des stocks de chloroquine. Comment peut'on juger le Maroc sur ce médicament ?
La spécialité pharmaceutique à base de chloroquine est produite depuis plusieurs dizaines d’années au Maroc. Ce n’est pas un produit nouveau pour nous , loin s’en faut ! Sa fabrication n’a jamais été arrêtée localement car ses priorités indéniablement préventives et curatives sur le paludisme n’ont jamais été démenties. Je suis heureux de constater que ce médicament est prometteur et qu’il est préconisé au Maroc comme traitement de première intention du Covid 19 en étant associé à l’azythromicine. La fierté de l’industrie pharmaceutique marocaine aujourd’hui est de dire au monde entier que notre pays est capable de fabriquer localement et de répondre à ses besoins en Chloroquine qui est un médicament qui sauve des vies. La chloroquine est produit au Maroc dans une usine marocaine, par des équipes 100 % marocaines et fières de le faire pour leur patrie. Les propriétés curatives, qui sont de plus en plus confirmées, nous rassurent de posséder ce savoir-faire industriel qui est une chance pour notre pays. Quant à la décision de Monsieur le Ministre de la Santé de réquisitionner tout le stock de ce produit pour le gérer par son département, je ne peux que la saluer en considérant qu’elle est sage et responsable.
Derrière le fabricant et le pharmacien, il y a aussi l'humain. Avez-vous l'impression d'être les "sauveurs" oubliés de cette pandémie ?
C’est vrai que les remerciements sont toujours agréables à entendre ou à recevoir, mais au bout du compte, nous remplissons notre mission de santé publique, et nous sommes heureux de pouvoir le faire correctement et avec passion ! Notre unique but est de toujours servir un médicament de qualité, efficace et disponible pour soulager les maux de nos concitoyens.
Le personnel de l'industrie pharmaceutique est soumis au règles de confinement. Cela a t'il une incidence sur la production ?
Soyez en sûr : les productions des médicaments essentiels dont nous avons besoin pendant cette crises ne sont pas impactées. La sécurité de nos collaborateurs a toujours été au cœur de nos préoccupations. Nous avons opéré plusieurs adaptations des organisations des équipes sur les sites industriels. L’objectif étant de préserver nos collaborateurs tout en assurant la priorisation des fabrications sur les médicaments classés comme « essentiels » par l’OMS. Nous avons aussi bien des équipes qui sont en télétravail que d’autres qui s’organisent par alternance et tout se déroule parfaitement bien.
Le Maroc envisage t'il de produire de produire de la chloroquine pour d'autre pays, notamment pour l'Afrique qui n'en est qu'au début de la pandémie ?
L’industrie pharmaceutique marocaine joue depuis plusieurs années un rôle important dans le secteur du médicament en Afrique. Le Royaume exporte depuis plus de 10 ans, un médicament anti-paludéen recommandé par l’OMS (artésunate et amodiaquine). Le Maroc est une partie intégrante de son continent ! Pour ce qui est de la Chloroquine, il est difficile dans le contexte de crise sanitaire actuel, de prédire la suite des évènements. Une incertitude majeure sur la fabrication de ce médicament est liée à la visibilité sur le stock mondial de matières premières. Compte tenu des données actuelles très fluctuantes, la projection d’une exportation de médicament à base de Chloroquine vers l’Afrique me parait compliqué. Toutefois, je vous confirme que notre industrie, a la volonté « pharmaceutique !» et politique de fabriquer ces médicaments pour les pays frères africains qui en feraient la demande.
Voir aussi :
#1 Au coeur de la production de chloroquine en France et au Maroc
#2 Au coeur de la production de chloroquine en France et au Maroc
Coronavirus : Le Maroc d'Après
Le Maroc fait son stock de chloroquine