Qui a tué le PJD ?

 Qui a tué le PJD ?

Le 10 décembre


MAGAZINE JANVIER 2018


Si le Parti de la justice et du développement est toujours au gouvernement, il est bel 
et bien sur la corde raide. La popularité des islamistes est en chute libre. Retour 
sur les raisons de cette perte d’influence sur fond de crise interne


L’histoire retiendra certainement qu’Abdelilah Benkirane fut le dernier véritable chef du parti islamiste avant liquidation. Ne serait-ce que par les bains de foule et les crises d’hystérie que provoquaient ses meetings et ses sorties médiatiques. Sans surprise, le secrétaire général sortant du Parti de la justice et du développement (PJD) n’a pas pu briguer un troisième mandat. C’est Saâdeddine El Othmani, actuel chef du gouvernement, qui a pris sa suite le 10 décembre, lors du dernier congrès national du PJD.


Un camouflet de plus pour l’ex-Premier ministre déchu, lequel, malgré son charisme, porte une lourde responsabilité dans l’état de délabrement de son parti. Car la chute du PJD est d’abord celle de son chef. Abdelilah Benkirane a été élu aux législatives de novembre 2011 sur la promesse de s’attaquer à la corruption et l’ambition de renégocier les relations incestueuses entre l’administration et le monde des affaires. Il a été porté au pouvoir au lendemain du Printemps arabe par une opinion publique au comble de l’espérance pour un Maroc meilleur. Mais, une fois aux commandes, le président du PJD a bien démérité. Les islamistes n’ont mis, ni fin à l’austérité, ni à la corruption. Le gouvernement a très vite désappointé autant le petit peuple que la classe moyenne qui avaient voté pour eux. Les déçus se comptent toujours par milliers dans leur propre camp.


 


Un désir de rupture


Pour comprendre la chute du “zaïm” (chef) et celle de son parti, il faut revenir à l’époque où l’ex-patron des islamistes avait été appelé à gérer les soubresauts de la rue, au lendemain des Printemps arabes. Propulsés vers les cimes par une administration dont le seul objectif était d’éteindre le feu qui couvait, attisé par le Mouvement du 20-Février qui voulait à tout prix en découdre, les islamistes ont enregistré un score confortable aux élections de 2011. Ce que Benkirane et ses amis n’ont pas compris, c’est que malgré la bénédiction du peuple, la remise des clés du gouvernement était assortie de conditions, à commencer par un désir de rupture. Le peuple fondait ses espoirs sur une équipe renouvelée, qui ne traînait pas encore les casseroles de l’usure du pouvoir.


D’autant plus que les islamistes avaient fait les choses en grand : ils avaient promis de profonds changements et des engagements majeurs. Leur programme vantait “un Maroc prospère”, “un Maroc juste”… Une centaine de promesses, plus ou moins floues, formules vagues sur l’assainissement des finances publiques et la chasse à la corruption, souvent coûteuses et mal financées, qui ne prennent pas en considération l’équilibre des comptes publics. Mais le peuple a foncé droit dans le panneau.


 


Une usante guerre de tranchées


Une fois aux commandes, le PJD de Benkirane “a beaucoup fait pour ceux qui l’ont élu” : il a non seulement plombé la Caisse de compensation, qui, malgré ses défauts profitait aussi aux classes démunies. Il a fait passer des projets de loi que tous les gouvernements de droite réunis n’ont jamais osé même évoquer, comme l’allongement de l’âge du départ à la retraite. Clou du spectacle : le chef du gouvernement et ses ministres criaient à qui voulait les entendre qu’ils étaient farouchement combattus par “un gouvernement de l’ombre”. Les ministres PJD semblent ainsi souvent débattre de solutions alternatives à la politique de la majorité en place dont ils sont parties prenantes, ce qui relève presque de l’absurde.


L’ex-chef du gouvernement, dont le sport favori consistait à accuser les “crocodiles et autres démons” qui s’acharnent à porter des coups bas à sa majorité n’a jamais révélé à qui il faisait référence. Or, tant qu’il est dans l’opposition, un parti peut se targuer d’être un intermédiaire privilégié entre le peuple et le pouvoir. Une fois aux commandes, ce parti, qui applique un programme pour lequel il a été élu, ne peut se décharger sur qui que ce soit.


Le pire dans tout cela, c’est que Benkirane, dans sa mégalomanie, ne comprenait pas que cette main de fer qu’il avait sur les rênes du parti irritait ses affidés. Dès lors, entre lui et ses camarades, la suite ressemble à une longue et usante guerre de tranchées. Ce groupe de refuzniks va désormais exprimer son mécontentement sur chaque décision prise par l’ex-patron de l’exécutif. A quelques mois de la mise à mort effective du “zaïm”, les chefs de file du parti se répandent dans les médias pour dire tout le mal qu’ils pensent de leur leader.


 


Des revendications passées à la trappe


Mais limiter les difficultés du PJD à la personnalité de Benkirane serait une erreur, car la crise de la formation politique est plus profonde. L’image la plus dévastatrice pour le PJD est celle qui fait apparaître les islamistes aux yeux du grand public comme un parti incapable de gouverner sans perdre son âme. Les revendications concernant “une société plus propre” ont été mises de côté, voire zappées par le parti au pouvoir. Provoquant non seulement la déception des électeurs, mais également l’ire des franges les plus radicales de la formation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les militants d’Al-Islah, le bras armé religieux du parti, ont donné des consignes de vote contre Benkirane, jugé trop conciliant avec les laïcs et “la corruption morale de la société”.


Pour comprendre les déchirements qui mettent en péril l’avenir du PJD, il faut écouter l’un de ses théoriciens les plus en vogue, Ahmed Raïssouni. Ce dernier s’exprimait sur sa page Facebook au lendemain de la défaite de Benkirane : “Ceux qui ont éloigné la politique de la religion et de sa morale ce sont eux qui ont perverti l’action politique et éloigné les populations de tout ce qui est politique”.


Evoquant de grands théologiens, dont Ibn Qayyim al-Jawziyya (XIIIe siècle), l’ex-président du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) affirme que tant les politiques que les prophètes aspirent à améliorer et multiplier les bienfaits, et à atténuer et réduire les maux. Selon lui, au départ, en soutenant le PJD, les populations ont misé sur une nouvelle approche de la politique et une nouvelle conception de la gestion de la chose publique, sur les principes de “participation et non de domination”, “d’entraide”. Depuis, “le parti n’aspire plus au bien, mais au pire”, s’indigne Ahmed Raïssouni.