Quel modèle de développement pour le Royaume ?
Une institution prestigieuse, une réflexion poussée, un parterre d'économistes et de responsables marocains venus exposer leurs analyses et leurs propositions. La conférence organisée par l'institut d'études politiques Sciences Po en partenariat avec l'Ambassade du Maroc en France a tenu hier toutes ses promesses avec des pistes de réflexion sur le modèle économique marocain.
Rue Saint Guillaume à Paris. Dans l'amphithéâtre Chapsal. 150 personnes écoutent attentivement des professeurs et responsables marocains. On est loin d'une entreprise consensuelle visant juste à faire la promotion économique du Royaume. Le sujet "Vers un nouveau modèle de développement au Maroc ?" appelle, il est vrai, des réponses variées et de bonne qualité.
A la tribune, des intervenants de haut rang qu'il soit ancien conseiller du Roi du Maroc (Mohamed Kabbaj), secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères (Mounia Boucetta) ou économiste (Larabi Jaidi). Les points de vues différents et chacun dans son domaine a pu apporter sa pierre à l'édifice de ce que le Maroc doit mettre en place pour passer à la vitesse supérieure d'un point de vue économique.
Ainsi, l'Ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa a relevé les atouts du Maroc (stabilité politique, investissement public dans les infrastructures, lutte contre la pauvreté avec l'INDH, mise en place de l'industrie automobile, aéronautique ou offshoring, etc…). Des avancées qui permettent d'atteindre une croissance de 3%. Or, le Maroc a besoin d'une croissance plus élevée pour absorber les arrivées de diplômés sur le marché du travail. Ouvrant ainsi le débat, les intervenants ont essayé d'apporter des éléments de réponses sur l'avenir économique marocain.
Pour Mounir Kabbaj, ancien conseiller du Roi du Maroc et ancien ministre de l'économie, le Maroc; le Royaume possède des atouts certains pour avancer même si certains écueils l'empêchent de progresser. Il a ainsi pointé du doigt les exportations qui ne couvrent que 51% des importations, la croissance de 3% trop faible pour créer sur le long terme de l'emploi ou les accords de libre-échange (55 en tout !) dans lesquels le Maroc manque de compétitivité. L'ancien conseiller du roi du Maroc est revenu également sur la stratégie sectorielle qui a permis par exemple de développer en 10 ans le secteur de l'automobile, de l'aéronautique ou l'offshoring. Pour lui, pas de secret. Si le Maroc veut se développer à l'instar des dragons asiatiques, il lui faut mener une réflexion profonde sur l'exportation. Revenant sur les questions sociales et d'emploi, il a fait le constat du taux d'activité faible au Maroc. Pour lui, ce sont surtout sur les inégalités sociales et territoriales que le Maroc devrait se renforcer. Rappelant que le Maroc mettait 50% de son budget dans le social pour éradiquer la pauvreté, Mohammed Kabbaj espère que les prochaines mesures sociales seront mieux coordonnées et surtout mieux ciblées. Enfin, il a appelé à une gouvernance moins lourde.
De son coté, Fouad Benssedik, directeur général de Vigeo Iris et enseignant à l'Université Paris Dauphine, a souligné le paradoxe des indicateurs économiques marocains. Insistant sur la stabilité du pays et son ancienneté (plus ancienne nation au monde), il a rappelé que le Maroc est passé du 120ème rang au 60ème dans le classement Doing Business. Toutefois, il a pointé du doigt des blocages qui ne permettent pas au Royaume de se développer sereinement. Outre le stress hydrique (30 années de sècheresse en un siècle), Fouad Benseddik est revenu sur le taux d'activité des femmes en milieu urbain (17% en 2015). Un taux très faible qui ne permet au Maroc d'aller de l'avant. Soulignant que la question sociale mérite d'être mieux posée, Il a proposé que l'Etat répartisse mieux son investissement territorial et tente de relevé les 4 défis qui se présente à savoir : l'eau, l'énergie, éducation et l'emploi. Cela passera selon lui par une meilleure implication des femmes dans l'économie.
Le professeur chercheur à l'université Mohamed V de Rabat, Larabi Jaidi a indiqué que des fondamentaux tiennent la route mais qu'il reste du chemin à faire notamment dans la gouvernance. Vantant la stabilité politique et le positionnement géographique du Maroc, il a rappelé la faiblesse du secteur agricole, la croissance tirée par la consommation interne qui s'essouffle, mais aussi le manque de structuration et de coordination des politiques publiques. Le fait que le modèle marocain soit faiblement inclusif; que 60% de l'activité se concentre sur 3 régions où qu'il existe des dysfonctionnements institutionnels auraient des conséquences sur l'économie. Visant les politiques publiques, il appelle à un ciblage, une priorisation et une meilleure coordination des politiques publiques mais aussi de mettre en place des concertations et des planifications sur certains axes de l'économie.
De son coté, la secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, Mounia Boucetta est revenu sur les axes forts de la diplomatie marocaine. Si le Maroc souhaite conserver une place de leadership africain (Union Africaine, CEDAO, etc..), elle estime que le Royaume a la possibilité d'aider le continent dans la prochaine 4ème révolution industrielle. Elle appelle ainsi le Maroc à agir sur les questions de sécurité alimentaire, d'eau ou d'énergie. Elle a souligné les 1000 accords signés lors des différents déplacements du Roi dans plusieurs pays africains. Bien que le Maroc soit le 1er investisseur africain en Afrique de l'Ouest et le 2nd sur le continent, elle a appelé de ses voeux à une nouvelle Afrique audacieuse. Rappelant que l'Afrique a toujours connu des migrations, elle a exprimé son envie de voir naitre l'observatoire africain des migrations. La secrétaire d'Etat a souligné la volonté du Maroc de renforcer ses partenariats stratégiques (France, UE, USA, Russie, etc..) mais aussi d'assurer la sécurité et la paix en Méditerranée. Enfin, elle a insisté sur le rôle que pouvait remplir la diaspora marocaine. Elle appelle à une mobilisation pour que les MRE deviennent des passerelles d'échanges pour le Royaume.
Inégalités salariales, disparités régionales, nouvelle économie, digitalisation,… La quasi-totalité des questions que le Maroc se pose sur son développement ont été abordés. Sans complaisance, les observateurs ont tenté de dresser un constat salutaire pour des propositions de "réparations" de l'économie marocaine.