Multinationales dans le banc des accusés
Alors que les projecteurs sont tournés vers Driss Jettou qui a demandé un délai supplémentaire pour venir à bout des 800 documents et 65 pv d’audition des inspecteurs de l’intérieur et des finances, voilà le discours royal devant le parlement qui enfonce le clou et « sonne le glas plus que jamais de l’impunité ».
Dans la foulée, le nouveau président du parquet général M’hamed Abdennabaoui vient d’adresser ses directives à ses équipes pour inscrire la corruption, le détournement des fonds publics dans leurs priorités…
Sur le terrain, les choses sont moins faciles à mettre en œuvre. On ne tire pas un trait en quelques jours sur des décennies de corruption qui structurent quoiqu’on en dise les réflexes du plus grand nombre des agents publics.
Ad Augusta per Angusta ? Bien sûr, la tâche n’est pas aisée mais avec un chef de l’Etat en personne comme donneur d’ordre de la lutte contre la corruption, l’espoir reste permis.
Ce qui rend la tâche d’un Jettou un peu plus compliquée, c’est que les acteurs de la prévarication ne sont pas toujours là où on les attend le plus. La lutte contre la dilapidation des deniers publics serait nulle, pas à la hauteur des enjeux, si elle reste oublieuse des vrais sujets : or le vrai sujet aujourd’hui, ce sont ces gros chantiers qui brassent des milliards de DHS et qui sont confiés à des multinationales aux agissements opaques et aux ramifications douteuses.
Sur cette question, l’ONG ATTAC CADTM Maroc vient de lancer un appel « pour démanteler le pouvoir des multinationales et mettre fin à leur impunité » à l’occasion de la réunion du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales qui se tiendra du 23 au 27 octobre 2017 à Genève.
L’ONG évoque « le partenariat public-privé qui offre des grands chantiers capitalistiques dans plusieurs secteurs dont par exemple celui de l’énergie (Centrale à charbon de Jorf Lasfar, Centrale au gaz de Tahaddart, Projet éolien de Koudia El baida) », elle aurait gagné à soulever deux questions majeures : celle de l’efficacité de multinationales qu’on préfère aux entreprises locales pour des motifs inavouables.
Exemple type, la multinationale Archirodon est un véritable cas d’école dans ce sens. Voilà une société sortie de on ne sait où (grecque à l’origine) qui traine des casseroles à l’Ile Maurice (où la construction d’un port a fait les choux gras de la chronique judiciaire locale) ou encore à Abou Dhabi où l’entreprise a été mise à la porte parce qu’elle n’a pas réussi à mener à terme la construction du pont d’Abou Dhabi qui lui avait été arraché avant d’être confié à la Six Construct, filiale de la multinationale BESIX. Le retard avait dépassé les trois ans !
Ce qui n’a pas empêché la boite de débarquer au Maroc et de décrocher le marché juteux de construction de l’émissaire de Jorf Lasfar en 2013 pour la coquette somme de 60 millions de DHS qui seront revus à la hausse. La société a pourtant empoché plusieurs gros chèques alors que le travail n’a pas été mené à bien et que l’émissaire a explosé à quelques centaines de mètres du rivage.
Juste après, Archirodon qui normalement devrait payer des dommages et intérêts à l’OCP va mettre la main sur le projet d’extension et de réhabilitation du port de Jorf Lasfar. Ce marché décroché d’un montant de 240 millions de $ qui devait être livré en 2015 a pourtant fait l’objet d’une sévère mise en demeure par les maitres d’ouvrages OCP et ONEE qui avaient constaté plusieurs anomalies. Malgré cela et malgré l’argent empoché, à l’heure actuelle, les travaux n’ont pas encore été achevés.
Cerise sur le gâteau, la société dont la filiale est gérée par un Egyptien est en train de se positionner pour rafler le projet de construction du port de Laayoune malgré les conclusions négatives et le niet catégorique du cabinet international indépendant d'ingénierie et de gestion de projets mandaté par l’Ocp pour donner son avis sur les sociétés adjudicatrices.
D’où la question qui se pose avec insistance, qui couvre cette société et pour quelles obscures raisons ?
On se demande encore comment on continue à confier des projets à cette entreprise même si elle aligne des performances médiocres dans le maintien des normes de qualité et l'échec de l'exécution des chantiers à temps.
Un dernier mot, comme le disait si bien Machiavel, la fortuna ( la chance objective d’être au bon endroit et au bon moment) n’empêche pas la virtu ( la rigueur et le savoir gouverner).
Abdellatif El Azizi