Le temps des vautours

 Le temps des vautours

Ilyas Omari


Le crime parfait n’existe pas. Ilyas Omari, en confiant à son photographe personnel, la tâche de mobiliser deux pelés et trois tondus pour clamer des slogans rageurs contre Aziz Akhannouch à l’occasion de l’inauguration du port de plaisance de Tanger par le roi a-t-il mesuré la gravité de cet acte ? 


Surtout qu’une fois le forfait commis, il n’a pas été difficile, photos et vidéos à l’appui, de pointer la responsabilité avérée de Amine Zaoudi qui se présente comme « ingénieur des médias à la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima » et aussi comme chargé de com de l’ex-patron du  PAM. 


L’erreur de plus qui va certainement coûter cher à Omari ne fait que confirmer ce qui circulait déjà dans les coulisses, à savoir que derrière la fameuse campagne de boycott qui visait essentiellement le patron du Rassemblement national des indépendants, s’affairaient des petites mains grassement payées.


Si quelqu’un avait la possibilité d’imposer aux réseaux sociaux de publier les noms des personnes qui payent pour augmenter la viralité de contenus tendancieux, nous aurions de grosses surprises concernant « la spontanéité » du boycott. On n’a rien inventé, le recours aux « bots » (ces faux profils alimentés de manière automatique)  et aux contenus sponsorisés (qui permettent de payer pour toucher un maximum de lecteurs)  est à la disposition du plus offrant et l’analyse des partages et autres diffusions concernant la fameuse campagne ont fait apparaître clairement les mêmes boites qui font le sale boulot contre rémunération.


Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les milices du web du PJD qui bombaient le torse en s’appropriant la paternité du boycott ont de suite fait marche arrière dès qu’ils ont senti le parfum de Ilyas Omari dans l’air. Mohamed Amkraz, le SG de la jeunesse du PJD s’étaitd’ailleurs senti obligé de prendre de la distance par rapport au boycott : « ce serait vraiment un honneur pour nous si le PJD était vraiment capable d’une telle capacité de mobilisation ». Ce qui n’a pas empêché au passage, Benkirane de profiter de la vague pour faire quelques sorties intempestives.


Bien sûr, quand le « faux » devient plus fort que le « vrai », c’est qu’il y a forcément un malaise. Qui peut nier que la population qui relaie ces fausses informations n’est pas saignée à blanc par la hausse des prix, meurtrie par le chômage de sa progéniture et l’absence d’horizons. Le vrai carburant des fausses informations, c’est leur diffusion humaine. Un phénomène amplifié par le système qui régit les plates-formes comme Facebook, Google et YouTube où plus un contenu a tendance à devenir « viral », plus il va être jugé « pertinent » et donc mis en avant dans la hiérarchie des contenus avant que l’effet boule de neige ne s’amplifie. De toutes les façons, les services spéciaux qui enquêtent sur les dessous de la vidéo de Tanger seront bien surpris de découvrir la main de l’ex trublion du PAM derrière la fameuse campagne de boycott.


Mais pour qui roule Omari ? Que cherche-t-il vraiment ? Pour ceux qui le connaissent de près, Omari a pourtant révélé dès le départ une personnalité paradoxale. Il est à la fois sombre et trublion et ses prises de position ont toujours des airs de fuite. Nimbées de nostalgie, elles font penser à ces personnages de roman, toujours en retard d’une révolution.


Même pour ses rares amis auquel il se livre dans ses instants éthyliques, n’ayant ni la ruse de Raspoutine, ni l’intelligence de Machiavel, il a toujours eu la tête ailleurs, éternellement affairé à penser au prochain coup. « Cette énième bourde de Omari, c’est la cerise sur le gâteau d’un système corrompu », souligne un ancien membre du PAM.


Leader de pacotille, «toujours borderline», Omari a régné sur les esprits par les coups bas, les machinations et une grande capacité à la manipulation. Sanguin, autoritaire, il fut ce leader louche, pur «produit médiatique», impliqué dans maints scandales et parvenant à chaque fois à se sortir des griffes de la justice grâce à une proximité surfaite. Mais pourquoi avoir adoubé cet opportuniste, sans idéologie, obsédé par l’escalade des échelons vers le pouvoir suprême, toujours borderline au moment où le Maroc avait un besoin impérieux de moralisation de la vie publique ?


Pour faire face à un Benkirane, champion du populisme, et qui est loin de disposer, dans la rue, de ces gros bataillons populaires qu’on lui prête, Omari n’avait pourtant ni la profondeur politique  et encore moins la capacité de rallier à ses errements idéologiques la moindre adhésion publique. Le populisme des islamistes exploite la clochardisation de la rue, la misère des chômeurs, la paupérisation de l'État. Il se repaît de l'immoralité des "riches" et de la cupidité indécente des patrons et se pose en défenseur de l’Islam.


Celui de Omari  est l'expression de chimères alternatives, de critique de choix légitimes de pouvoirs élus, de mépris du marocain de base. Tous les Marocains, loin de là, ne s'embrigadent pas au PJD, mais des millions de citoyens ruminent le sentiment d'être abandonnés par les "puissants", caste indistincte où ils jettent en vrac la classe politique, l'élite, les riches, la finance et autres boucs émissaires de leurs malheurs.


Face à cette souffrance , ce sentiment de déréliction qui nourrit depuis longtemps la mélancolie nationale , n’a-t-on trouvé rien de mieux qu’un personnage aussi glauque pour faire face à l’hégémonie des islamistes ?


Abdellatif El Azizi