La gastronomie, ce nouveau soft power
La cuisine du Royaume s’exporte grâce à une génération de chefs audacieux. En quelques années, sous l’impulsion notamment de l’Office national du tourisme, qui a saisi son potentiel, elle est devenue une nouvelle forme de diplomatie.
Régulièrement classée parmi le gratin mondial, la cuisine du Royaume est très prisée des amateurs de bonne chère. Depuis quelques années, le Maroc en a pris conscience et mise clairement sur sa gastronomie comme vecteur d’attractivité touristique. Et les chefs se muent, à leur insu, en ambassadeurs du palais… La gastronomie devient ainsi une “diplomatie culinaire”, un “soft power” avec lequel il faut compter.
C’est un fait, les chefs marocains (ou d’origine marocaine) partent à la conquête du monde… “Notre gastronomie est très appréciée, car elle est variée. C’est une cuisine des régions, des terroirs, issue d’un savoir culturel et civilisationnel multiple. Elle puise dans des influences judéo-berbères, turques, andalou-mauresques, africaines, des peuples qui ont vécu ici”, explique Salah Chakor, consultant en gestion hôtelière et auteur d’un Traité de gastronomie marocaine (auto-édité en 2010). Ce dernier prend en exemple le couscous, qui est berbère, la pastilla aussi, ou encore certains tajines.
Quant aux grands cuisiniers étrangers, ils se réapproprient nombre de recettes marocaines et les proposent sur leur carte. Mieux, le couscous est l’un des plats préférés des Français. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie souhaitent d’ailleurs le classer au patrimoine mondial de l’Unesco depuis janvier 2018.
Choumicha, incarnation de la révolution culinaire
Au Maroc, la révolution doit beaucoup à une femme, Choumicha, qui s’est démarquée dans les années 1990 en co-animant un jeu télévisé à succès, Le mot juste. Sur la chaîne 2M, elle sillonne le pays à la rencontre des “dadates” (les grands-mères, ndlr) et de leurs secrets de cuisine. Elle devient la coqueluche des Marocains, lance des magazines, fait de la publicité, devient une femme d’affaires aguerrie… Ses émissions s’exportent aux quatre coins de la planète.
La présentatrice de Ch’hiwate Choumicha (“Les bons petits plats de Choumicha”, ndlr) ouvrira prochainement un restaurant de gastronomie marocaine à Dubaï : Bab Masour. Avant elle, au Maroc, la cuisine médiatique se résumait à une émission dominicale présentée par feu Abderrahim Bargache, génie culinaire et acteur.
Choumicha a ouvert la voie à une nouvelle génération de chefs, comme Myriam Ettahri. Diplômée en droit international à Montréal, cette jeune femme a travaillé dans une entreprise agro-alimentaire, puis repris ses études de cuisine au Cordon bleu, fameux établissement parisien. Selon elle, l’évolution de la cuisine du Royaume s’explique par trois facteurs : “D’abord, être chef est devenu un métier à part entière, glamour. Ensuite, nous avons une nouvelle génération de cuisiniers, formés à l’étranger, auprès de chefs étoilés, et qui reviennent au Maroc avec l’envie de travailler les produits du terroir. Enfin, il faut souligner le travail de la Fédération des arts culinaires et de Karim Rahal, qui a promu cette cuisine à l’international.”
Une nouvelle génération audacieuse
Myriam Ettahri est aujourd’hui marraine de l’émission Mama Chef et membre du jury de Master Chef au Maroc, un programme très suivi, qui en est à sa cinquième saison. Le credo de la chef est simple : revisiter les recettes traditionnelles. “Aujourd’hui, les Marocains acceptent qu’on touche à leur cuisine qui, avant, était sacro-sainte. Peu à peu, je vois le concept de service à l’assiette se démocratiser ici, ce qui était il y a peu inconcevable, s’enthousiasme-t-elle. Pour perdurer, la cuisine marocaine doit à la fois préserver ses recettes ancestrales et s’ouvrir aux influences internationales.”
Parmi la nouvelle génération, on pense au facétieux Chef Moha, mais aussi à Karim Rahal ou Meryem Cherkaoui… Originaire de Rabat, cette dernière est venue en France pour étudier à l’Institut Paul Bocuse. En 2003, elle retourne à Casablanca pour ouvrir son restaurant, La Maison du Gourmet, puis, en 2009, son atelier de cuisine Saveurs des Chefs, où elle allie la technique française et les saveurs marocaines.
A l’international, comment ne pas penser à Fatéma Hal (lire p. 68) ? Plusieurs fois primée, cette dernière a ouvert en 1984 son restaurant à Paris, La Mansouria, haut-lieu de la cuisine marocaine. Elle a créé une gamme d’épices et obtenu un stand aux galeries Lafayette Gourmet. Elle a sa propre chaîne de web-télévision dédiée à la cuisine marocaine et du Maghreb et vient de publier un savoureux roman, “Le discours amoureux des épices (éd. Zellige). Citons également Abdel Alaoui mais aussi Djilla Harhad. Avec son mari Moussa Harhad, elle a ouvert à Paris son restaurant Wally le Saharien il y a vingt ans.
“Show cooking” à la marocaine
Aux Etats-Unis, Mourad Lahlou a réalisé une série culinaire pour la chaîne PBS et ouvert deux restaurants. En Australie, Hassan M’Souli est une star des fourneaux. Son livre, Make it Moroccan, écrit en 2008, est devenu un best-seller. Autant d’arguments qui ont convaincu l’Office national marocain du tourisme (ONMT) de présenter dans les grands salons un “show cooking” : un stand d’une superficie de 400 mètres carrés offrant aux visiteurs des plats traditionnels, préparés sur place par des chefs. Manière de montrer l’importance qu’accorde le pays au volet culinaire dans la promotion touristique.
“Des personnalités, comme Jamel Debbouze ou Thierry Ardisson, vantent la gastronomie marocaine”, décrypte Abderrahim Benattabou, consultant et créateur du label Tafoukt, à Tanger. Pour autant, il nuance : “Avoir de tels ambassadeurs est une excellente chose pour l’image du Maroc, mais qu’en est-il en réalité ? Une fois sur place, les touristes restent sur leur faim… En dehors des palaces et des riads, cette cuisine audacieuse n’est pas au rendez-vous.”
S’adapter aux standards internationaux
La solution, selon lui ? “Valoriser davantage les produits du terroir : bissara, lentilles, sardines… Trouver de nouveaux arrangements, préparer différemment le poisson, oser des mélanges, explique celui qui a créé une confiture à la mandarine. Cette cuisine ne doit pas être tape-à-l’œil. Elle doit s’adapter aux standards internationaux avec un respect du travail et des personnes (contrat, sécurité…), provoquer l’intégration de tout un circuit, du fournisseur jusqu’au salarié. La cuisine péruvienne est devenue en quelques années l’une des meilleures au monde, car elle a misé sur la formation, sur l’entrepreneuriat, sur l’implication des pouvoirs publics… Nos chefs sont les vrais ambassadeurs d’une diplomatie parallèle. Ils doivent être la locomotive de tout un secteur. Pour cela, il faut que tout l’édifice suive derrière.”