Maroc. Hommage à un homme généreux, Mustapha Mchiche Alami
A l’occasion de l’anniversaire des 90 ans de Mustapha Mchiche Alami, un des anciens étudiants de la ville de Kénitra lui rend hommage dans un texte émouvant.
Par Miloud El Gharbaoui
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L’homme ne se souviendrait certainement pas de ce jeune homme timide, issu d’un douar perdu dans les Fouarat dans la périphérie de Kénitra. Un bac arraché de justesse au lycée Bird ne faisant pas le printemps, il fallait trouver les moyens de faire des études supérieures malgré la misère que le statut d’ouvrier agricole du père ne permettait pas de surmonter la précarité ambiante.
Or j’avais justement entendu parler d’une fondation locale qui offrait des bourses d’études aux étudiants méritants issus de familles modestes qui voulaient s’inscrire à l’Université Ibn Tofail de la même ville. C’était mon premier contact avec la Fondation Sidi Mchiche El Alami (dont Mustapha Mchiche Alami est le président) qui s’avérait plus tard bien fructueux puisque c’est grâce aux bourses octroyées que j’ai pu terminer mes études avant de poursuivre un cycle supérieur en France.
Depuis, et contrairement à mes camarades de classe, j’ai suivi avec un vif intérêt les activités dudit personnage dans ses déplacements dans la région. Personnage atypique, le mécène qui n’avait pas la langue dans sa poche a marqué la vie politique de la capitale du Gharb par son franc-parler.
Celui qui fut député de Kénitra sous les couleurs du parti de l’Istiqlal ainsi que vice-président de la commune de Kénitra-Maâmoura défrayait la chronique par ses prises de position courageuses sur des sujets brûlants d’actualité, tels que le trafic de sable dans les communes de la région.
Economiste de formation, le docteur bétonnait ses dossiers avec une argumentation chiffrée et documentée qui faisait de lui un redoutable opposant aux professionnels de la politique qui n’avaient pas de réponses à apporter si ce n’est des polémiques stériles pour noyer les véritables problématiques.
Mais ce qui nous fascinait le plus chez le personnage, c’était ses idées et leur concrétisation par des événements multiples qui se suivaient et ne se ressemblaient pas. Que ce soit dans le domaine du mécénat pur, de la réactivité aux catastrophes naturelles comme les inondations du Ghrab, au niveau des commémorations ou encore sur le plan de la culture et des arts.
Expositions, conférences, concerts, compétitions sportives, rien n’échappait à la sagacité de l’homme, malgré toute notre bonne volonté, il nous fut impossible de suivre la cadence. Résultat, on allait voir ce qui nous intéressait le plus.
Bien après mon installation dans l’Hexagone, je continue à suivre de loin les activités de la fondation. Je me rappelle au cours d’un de mes voyages à la mère patrie de l’exposition consacrée à l’Andalousie musulmane, organisée par la Fondation Sidi Mchiche El Alami durant le mois de mars 2018, à la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc à Rabat.
L’exposition qui revisitait l’histoire de l’Andalousie depuis l’arrivée de Tarik Ibn Ziad jusqu’à la fin de l’Andalousie musulmane, soit plus de huit siècles, mettait en exergue le riche patrimoine scientifique et culturel durant cette période. En l’occurrence, l’exposition comprenait des copies de manuscrits de quelques grands savants comme Zahraoui, Zarqali, Al-Idrissi, Ibn Al-Baytar, Ibn Rochd, ainsi que des copies d’ouvrages rares en langues européennes portant sur la contribution de l’Andalousie et du royaume du Maroc à ces activités intellectuelles et scientifiques qui vont de l’astronomie à la chirurgie en passant par la géographie, ou encore la philosophie.
De ce qu’on disait de lui, l’homme était un homme d’affaires exceptionnel et impliqué aussi bien dans le sport que dans la culture, doublé d’un mécène qui faisait ce qu’il pensait être son devoir sans trop faire de bruit. Avec ce sourire et ce sens de l’humour qui en faisait une agréable compagnie, il savait où il allait et il gagnait les cœurs les plus réticents.
Après des décennies d’engagements au service des autres, il serait dommage que ce travail de longue haleine fourni par ce personnage à la tête de sa fondation ne soit pas un héritage des possibles à transmettre à nos enfants, car le possible, c’est d’abord le pensable.
Le changement vers le mieux n’est pas seulement dépendant des actions politiques, mais il est aussi dans la valeur d’exemple qu’on peut offrir. Dans l’Homme révolté, Albert Camus pensait que « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Ça n’a jamais été aussi vrai.