Maroc. Faut-il tricher au bac ?

 Maroc. Faut-il tricher au bac ?

Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

« Faut-il tricher au bac ? » Si on avait des responsables de l’éducation qui avaient un tant soit peu d’imagination, ce serait là le sujet par excellence de l’épreuve de philo aux examens du bac. Et on n’en serait pas là à attendre les chiffres officiels et les appréciations du personnel surveillant pour savoir que cette année, encore et plus qu’hier et bien moins que demain, la triche aux examens du bac a explosé.

En effet, les examens du bac ont à peine baissé le rideau qu’on apprend déjà que la cuvée 2023 est aussi riche, voire plus, de candidats adeptes de la triche que les examens précédents. Ces « gangsters » en herbe qui ont été pris la main dans le sac par les services de la police et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) ne sont que l’arbre qui cache la forêt et pourtant il s’agit de centaines d’individus arrêtés en flagrant délit dans tous les centres d’examens du royaume.

Le communiqué de la DGSN est clair et précis : « Les perquisitions effectuées dans le cadre de ces opérations anti-fraude ont permis la saisie d’un ensemble d’équipements et d’appareils électroniques  facilitant la triche. Il s’agit de 177 téléphones portables et 148 puces électroniques ainsi que 93 casques audio et 426 batteries. Ceci en plus de 16 ordinateurs portables et d’importantes sommes d’argent soupçonnées d’être le fruit de ces activités criminelles ».

Quant aux enseignants et autres directeurs de lycées, ils sont unanimes à reconnaître que le phénomène a non seulement pris de l’ampleur mais il a aussi développé des pratiques relativement nouvelles: la triche est désormais un projet familial où les parents et la famille sont impliqués à des degrés divers, à l’instar de ce père qui a acheté le matériel numérique dernier cri pour permettre à son rejeton de « copier » sans se faire prendre; c’est cet autre grand frère qui a mis en place toute une procédure en soudoyant un enseignant pour permettre à son cadet de lui communiquer par Bluetooth les questions et d’attendre ainsi les réponses; il y a aussi cette maman qui, toute honte bue, va faire le tour des camarades de classe pour leur demander de ne pas oublier de refiler à sa fille les véritables réponses des questions etc.

On ne s’attardera pas sur le côté moral de la chose, sachant que toutes « les luttes contre la fraude aux examens et autres lois anti-triche » ne changeront rien à la chose. Bien sûr, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas prévoir que ces futurs diplômés qui ont été formés à l’école de la triche seront pour certains d’entre eux, des médecins qui ont pignon sur rue mais qui feront bien des erreurs médicales, voire tueront pas mal de personnes avant d’être démasqués, s’ils le sont un jour; c’est aussi ce juge qui ne se souciera guère de faire éclater la vérité, à condition d’avoir un gros pot de vin à se mettre sous la dent; et le patron d’une entreprise publique qui se sert avant de servir le pays, ne fait que continuer à tricher dans le monde du travail; ce sont aussi tous ces politicards qui n’ont pas froid aux yeux quand ils promettent la lune à leurs électeurs. Depuis Machiavel, on sait que « la fin justifie les moyens », et en particulier dans le grand jeu politique, le recours aux moyens les plus immoraux (triche et mensonge) pour parvenir à ses fins reste un sport national dans ce pays béni.

Maintenant la question légitime, c’est pourquoi ce phénomène est-il en augmentation vertigineuse ? Pourquoi toute une société trouve désormais légitime de recourir à la triche, à commencer par ces petits chérubins qui s’y frottent sans se piquer ?

On peut évacuer tout de suite la responsabilité des premiers intéressés (Nul n’est censé ignorer la loi et les candidats qui ont été pris la main dans le sac sont bien placés pour le savoir) en cela que ces jeunes biberonnés à l’absence de responsabilité (papa ou maman, ou les deux en même temps, font tout à leur place) d’où ce « manque du manque » comme le disait si bien Françoise Dolto, qui fait que ces enfants se croient finalement tout permis, y compris de réussir à un examen sans avoir fourni les efforts nécessaires pour cela.

Ajoutons à cela , des stratégies d’enseignement qui ont fait de ces jeunes des yoyos de la politique, une fois, arabisés, une fois refrancisés, et demain, avec les nouvelles mesures berbérisés et  anglicisés.  Il faut savoir que ces apprentis bacheliers sont issus de la fameuse « École de la Réussite » lancée par ce ministre de triste mémoire qui a laissé une ardoise de plusieurs milliards à l’Education nationale sans être nullement inquiété.

Ce sont aussi ces mêmes élèves qui ont subi de plein fouet l’amateurisme de ces 3 200 contractuels recrutés sur concours et qui avaient été définitivement embauchés après trois mois d’essai, pour dispenser des cours dans les établissements scolaires du Royaume.

Le bac, comme on l’appelle aujourd’hui, vient du latin bacca laurea, en deux mots, qui signifie couronne de laurier. Cette distinction honorifique remonte à l’antiquité grecque et consistait à poser cet ornement sur la tête des vainqueurs pour les célébrer. Faut-il abandonner ce rituel complètement anachronique ?

Or, reconnaissons-le, le bac aujourd’hui est devenu une mascarade organisée. Un vaste et coûteux examen par lequel des hommes politiques reconvertis en bureaucrates engraissés se dédouanent de laisser aux nouvelles générations un monde grevé de préjugés sans leur donner les clés pour décrypter cet univers cyber moderne – où le virtuel et le réel fusionnent, où les légitimités n’ont plus besoin de certitudes, où les expériences, se limitent à surfer sur les réseaux, où l’enseignant qui a failli « mériter le titre de prophète » a perdu sa toge de « sage », dispensateur de leçons en perdant ainsi toute crédibilité à l’heure où chacun s’autorise à tout savoir par le biais d’un simple clic.