Maroc. Énième histoire de viol
C’est le genre d’histoire qui vous reste en travers de la gorge : une jeune fille de 18 ans qui marche dans un chemin escarpé de montagne pour se rendre dans un autre douar que le sien dans la commune de Moulay Brahim (province de Marrakech), proie rêvée pour deux jeunes loubards qui lui ont confisqué son téléphone après avoir tenté de la violer. Pensant avoir affaire à un sauveur, elle s’adresse au premier passant pour lui demander de l’aide. Le quotidien Assabah rapporte qu’en réalité, le « bienfaiteur » qui a promis de la mener vers les autorités… l’a violée avant de l’accompagner au bureau du Khalifa du caïd qui, au lieu de prendre sa plainte contre le violeur au sérieux, a voulu lui aussi la violer ! Elle s’est enfuie en courant avant de rencontrer les gendarmes qui ont arrêté tout ce beau monde.
Une fois l’émotion passée, face à cette énième barbarie, on ne peut que déplorer cette culture du viol qui relève avant tout d’une « invisibilisation » des femmes dans le domaine public, une femme n’ayant aucun droit sur l’espace public, et si elle s’aventure dans la rue, c’est bien à ses risques et périls ! La résurgence de ce monde délétère dont il faudrait venir à bout nous interpelle nous et en tant qu’hommes d’abord.
Ce n’est pas tant un problème de justice, même si on peut déplorer qu’au Maroc, le viol, considéré comme étant « l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci » est puni de la réclusion de cinq à dix ans de prison (article 486 du CP, alinéa 1), très rarement appliquée, mais c’est beaucoup plus un problème de mentalités.
D’où le fait que trop souvent la femme violée se garde bien de porter plainte puisqu’il lui faudrait affronter un monde d’hommes qui lui est hostile par excellence (le policier qui prend la plainte, celui qui fera l’enquête et au final le juge qui jugera l’affaire, tous convaincus qu’en réalité, elle l’a bien cherché et que s’il y a viol, c’est toujours la faute de la femme, trop belle, trop peu habillée, voire scandaleusement maquillée etc.
Pire encore, les cas de viol étant difficiles à prouver, puisque les blessures physiques sont exigées pour prouver le défaut de consentement de la victime, les femmes victimes de viol sont non seulement dans l’obligation de prouver un préjudice physique pour attester de leur non-consentement, mais elles risquent toujours, à défaut, des poursuites pour relations sexuelles hors mariage, incriminées pénalement !
Même dans les cas où la justice sera mise en œuvre, ce qui est plus important, ce n’est pas le règne de la loi mais celui des réseaux sociaux qui fait le buzz (ce qui terrorise les autorités) comme en témoigne l’affaire de la petite fille de Tiflet, violée et (re)violée par les mêmes « tortionnaires » et dont les peines ont été revues à la hausse, justement après la mobilisation de la société civile.
Cette maladie sociale est d’autant plus dangereuse que la société marocaine, malgré une évolution notable, reste marquée par l’esprit patriarcal, surtout chez les hommes des générations anciennes et ceux qui vivent toujours dans le rural. Avant de fermer la parenthèse, il faut reconnaître néanmoins un changement de mentalité et de comportement chez les jeunes qui surprend agréablement.
Pour la plupart d’entre eux, le rapport à l’autre sexe est moins problématique que chez les générations précédentes : au moment où un jeune d’aujourd’hui est parfaitement capable de cohabiter avec une jeune fille dans le même appartement sans que cela pose problème (ce qu’ils font désormais régulièrement) il est impossible d’imaginer cela chez nous autres, adultes.
Ce qui est malheureux dans cette histoire, c’est que le pays reste pourtant marqué par des pratiques religieuses bien ancrées dans la population, mais comme toujours, il s’agit d’une compréhension biaisée de la spiritualité où le rite et le rituel sont plus importants que la nécessité d’une éthique de comportement.
Le violeur tapi, en chacun des hommes, considère qu’après tout la femme reste un objet sexuel taillable et corvéable à merci. Dans une religion qui se respecte, (qu’on respecte) le corps, l’âme (c’est-à-dire le mental et le psychique) et l’esprit (qui s’entend comme le vrai sens de la spiritualité) sont en harmonie.
Une vision tripartite qui irrigue normalement la plupart des grandes traditions religieuses et philosophiques et si l’on se nourrit de cela, on agit en conséquence, ce qui commence par le respect quasi mystique voué à cette autre moitié de l’humanité qu’est la femme. Malheureusement cette vision a été évacuée au profit d’une jouissance sans entraves exacerbée par les réseaux sociaux et le porno à satiété comme si l’homme n’était qu’un phallus lâché dans la nature.
Devrions nous suivre les conseils de Alexis de Tocqueville, qui avait appelé à séparer la politique de la religion ? En les séparant, il cherchait à faire comprendre que la justice cosmique exercée par Dieu viendrait inexorablement à la fin des temps mais qu’en attendant, on se contentera du règne de la loi, bien qu’imparfaite, histoire de se préoccuper sérieusement de la dette que nous avons vis-à-vis des victimes potentielles du viol, qu’il faut imaginer comme nos épouses, nos mères ou encore nos sœurs.
La question de la culpabilité des hommes vis-à-vis de la femme devrait nous ouvrir les yeux sur le côté néfaste de l’idéologie patriarcale, qui devrait nous faire regretter de ne pas avoir eu l’éducation sexuelle très tôt pour nous convaincre de la responsabilité individuelle dans les situations d’exploitation sexuelle même si ce n’est pas une agression sexuelle à proprement parler.
Cela dit, le féminisme moderne a fait plus de mal à la cause des femmes qu’il n’a réglé de problèmes. Que des femmes luttent pour un changement, cela se comprend, mais les dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui avec le mouvement MeToo (par exemple) « font désordre » au lieu de faire avancer les choses.
Le modèle archaïque masculin avant d’être une réalité, est d’abord ancré dans les esprits des hommes, il n’a aucune nécessité biologique mais la subordination des femmes, ne peut être vaincue que par des choix politiques, champ d’intervention masculin par excellence.