Droits de l’homme au Maroc : Acquis et défis ?
La société internationale commémore le 10 décembre de chaque année la journée internationale des droits de l’homme. A cette occasion, il me parait très important de jeter des lumières sur l’évolution de la situation des droits et libertés au Maroc.
En effet, le Maroc, depuis son indépendance, s’est engagé dans le processus de l’édification d’un Etat moderne fondé sur la démocratie et la primauté de la loi. Il a connu une évolution dans le domaine des droits de l’homme, depuis la promulgation de sa première constitution de 1962, en s’inspirant de la charte internationale des droits de l’homme de 1946, qui stipule dans son article 55, « le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Dans ce contexte, le Maroc a adopté le pluralisme politique, il a ratifié dès 1979 les deux pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a également ratifié plusieurs conventions relatives aux droits de l’homme, comme la convention internationale contre la torture, la convention internationale de lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la convention internationale des droits de l’enfant, la convention internationale pour la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille, et la convention relative aux personnes souffrant d’un handicap…
Mais malgré ce processus positif en matière de promotion et de défense des droits de l’homme, pendant les années 60,70 et 80, le Maroc est passé par des périodes sombres qui se sont caractérisées par des violations flagrantes des droits de l'homme. En ce sens, on peut citer les disparitions forcées, les détentions arbitraires, les assassinats, et la torture entraînant la mort ou des séquelles physiques et psychologiques permanentes, les exécutions hors la loi et l'exil forcé, qui ont eu lieu lors d'événements politiques marquant cette période.
Dès le début des années 90, le Maroc a été influencé par des changements de la politique internationale suite au nouvel ordre mondial et les pressions de l'environnement international sur le pays en vue de protéger les droits et les libertés, et des revendications internes des militants des droits de l’homme, d’où l’importance accrue accordée aux droits de l’homme.
Alors, notre pays, en ce temps, a connu une série de réformes politiques, administratives et juridiques en la matière : la révision constitutionnelle dont le préambule de la constitution portant sur l'attachement du Royaume aux principes universellement reconnus, la ratification de plusieurs traités et conventions internationaux, l'aménagement de la procédure pénale en matière de détention et de garde à vue, l’enlèvement de plusieurs réserves émises à propos de certaines conventions internationales, la libération et l’indemnisation des anciens prisonniers politiques.
Aussi, le Maroc, durant la période des années 90, a réalisé d’importantes avancées axées sur la consolidation et la promotion des droits et libertés, à travers l’amélioration de l’arsenal juridique national et la création des institutions œuvrant dans le domaine de la promotion et la protection des droits de l’homme. Nous citons par exemple, le Conseil consultatif des droits de l’homme en 1990, le ministère des Droits de l’homme en 1993. Parallèlement à ces instances, le Maroc a connu également la création des tribunaux administratifs, en 1994.
A la lumière de cette évolution marquée par les avancées réalisées en matière des droits de l’homme durant les années 90, on pourrait affirmer que le Maroc a connu une dynamique particulière dans la protection et la promotion des droits de l’homme, qui a été consolidée sous l’ère du Roi Mohamed VI depuis son accession au trône en 1999, par son engagement solennel en faveur de la consolidation des bases de la démocratie et des droits de l’homme.
Nous pouvons citer certains événements qui ont caractérisé la volonté de l’Etat marocain de consolider le respect des principes des droits de l’homme :
En septembre 1999, Le roi avait autorisé Abraham Serfaty à revenir d'exil. L'opposant indépendantiste a passé 17 ans dans les geôles de Hassan II et a été déchu de sa nationalité marocaine en 1991. Elle lui est rendue sans conditions. La famille Ben Barka regagne le Maroc deux mois plus tard, après trente-six ans d’absence. En novembre 1999, il y avait eu la révocation de Driss Basri, ministre de l’Intérieur depuis 1979, et dernier homme de main du régime de Hassan II.
Ces actes courageux du Roi Mohamed VI, en matière des droits de l’homme ont été perturbés, par les événements terroristes du 16 mai 2003, ce qui a poussé l’Etat marocain d’adopter une loi antiterroriste, voté au parlement à l’unanimité. Durant cette période, après les attentats de Casablanca, nous avons constaté des abus de pouvoir des autorités, au cours des arrestations des suspects et des investigations de la police judiciaire dans les dossiers anti-terroristes, et des jugements ont été prononcés à l’urgence sans respect des principes de la justice équitable. Le Roi avait annoncé la « fin de l’ère du laxisme ». Dix peines de mort sont prononcées le 11 juillet contre des membres de la Salafia Jihadia, impliquée dans les attentats. Une centaine d’autres sont condamnés en août et en septembre 2003.
Malgré cette régression temporaire dans les avancées des droits de l’homme, le Maroc a connu, en 2004, des événements remarquables: la grâce accordée à 33 prisonniers politiques; la création de l’Instance Equité et Réconciliation pour enquêter sur des violations graves des droits de l’homme passées entre les années 1956 et 1999 et réaliser la réconciliation afin d’envisager l’avenir à la lumière des recommandations de cette de cette instance; et, parallèlement, sept audiences publiques télévisées des victimes des « années de plomb ». Ces émissions sont organisées par l’Instance équité et réconciliation pour faire la lumière sur les atteintes aux droits de l’homme des années passées.
Le Maroc a vraiment connu des progrès majeurs sur le dossier des droits des femmes. C’est ainsi que la Moudawana – ou code du statut personnel – a été révisée en janvier 2004, l'une des réformes emblématiques du règne de Mohammed VI. Le statut juridique de la femme marocaine est amélioré. Cette réforme a été appuyée par l’élaboration de la loi sur la nationalité et l'instauration d’un quota de femmes au Parlement.
On peut affirmer que la période s’étalant de la fin de l’année 1999, jusqu’à aujourd'hui a été caractérisée par un arsenal juridique très riche. En plus des initiatives prises par l’Etat marocain que nous avons citées, on pourrait aussi évoquer le nouveau code de procédure pénale, le code du travail et les lois des libertés publiques, qui ont été modifiés. Ces initiatives ont été favorablement accueillies et saluées par les différentes composantes de la société politique et civile, et même la société internationale.
En 2011, le Maroc a connu une réforme constitutionnelle très approfondie. La nouvelle Constitution a réduit certains de ses pouvoirs au profit du parlement et du gouvernement. Le poste du Chef du gouvernement a été institué, au lieu du Premier ministre, avec renforcement de ses attributions. Cela a suscité un débat public inédit. Ce débat s’est généralisé aux relations entre différents pouvoirs.
En même temps, l’égalité entre hommes et femmes a été constitutionnalisée, sans oublier la liberté de conscience et la suprématie des conventions et traités internationaux.
De même, les citoyens pourront également avoir la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle nouvellement créée. La Justice est devenue un pouvoir autonome, indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. le ministre de la Justice n’est plus président délégué du Conseil supérieur du la magistrature, appelé actuellement Conseil supérieur du pouvoir judiciaire dans la nouvelle Constitution, et le Parquet général est devenu une institution indépendante de ce ministre suite aux dispositions de la loi organique relative.
Le débat public a donc évolué avec la mise en œuvre progressive de ces dispositions constitutionnelles qui ont d’ailleurs été saluées par les partis politiques, la société civile, ainsi que les partenaires du Maroc et la communauté internationale.
La constitutionnalisation des droits de l’homme au Maroc a été une décision courageuse et généreuse du Souverain Mohamed VI. Ce faisant, le Maroc a, par ailleurs, pu répondre aux allégations, pour ne pas dire aux accusations, de torture, de détention arbitraire, des disparitions forcées des opposants politiques soulevées par des organisations, notamment internationales des droits de l’homme.
Il ressort des progrès enregistrés par le Maroc au cours des dernières années que le respect de l’exercice des droits et libertés a continué à progresser tandis que les violations et les abus n'ont cessé de diminuer grâce à l’élargissement du champ de l’exercice des droits, malgré des cas de violations isolés qui ont été soulevés.
Conclusions
Tous ces acquis témoignent de l'existence au Maroc d'une forte volonté de consolider un Etat de droit qui garantit le respect des droits de l'homme, mais cela exige davantage d’efforts et de progrès au niveau des réformes législatives, de la mise en application des lois et des droits, ainsi que de la diffusion de la culture des droits de l’homme.
La voie du respect et de la promotion des droits de l’homme est longue ; elle exige plus de combat et de mobilisation et également la contribution de la société civile dans le développement des mécanismes de protection et dans le règlement du dossier des violations graves perpétrées dans le passé.
Il reste encore à traiter des problématiques nouvellement surgies qui réclament un réel courage politique et un consensus entre les différentes composantes de la société marocaine, notamment celles à caractère religieux : la question du viol, l’égalité en matière d’héritage, le droit à l’avortement. Il faudrait aussi mener des réformes touchant les libertés collectives, les droits de la femme et la justice sociale.
Khalid Cherkaoui Semmouni